Au-dessous d’elle, les arbres, la forêt. Partout, du vert. Siri ferma les yeux. Elle devait se reprendre et ne pas penser à son passé, ne plus y penser. Alors qu’elle avait presque réussi à oublier, les souvenirs revenaient à présent en vagues cruelles, aussi limpides que s’ils avaient été frais de quelques jours seulement. Pourtant, quinze années étaient passées. Quinze années pendant lesquelles elle s’était cachée, terrorisée de rencontrer quelqu’un qu’elle connaissait. Mais personne n’aurait voulu venir la chercher si loin, dans un petit village de la vallée de Palencar. Et puis d’ailleurs, tout le monde la croyait peut-être morte. Ou alors, personne n’avait voulu venir la retrouver. Ou bien ...
*Ne penses pas cela, Siri.*
Encore une fois, Brume avait très bien compris ce que pensait sa dragonnière. Partager son esprit avec un autre être pouvait parfois être embêtant.
*Brume, l’école à due être abandonnée, depuis ce temps.*
*Peut-être.*
*Alors que faisons-nous ? C’est de la folie, retournons chercher Eléane.*
*Siri, ta fille est partie, et elle te retrouvera. Mais si un jour elle a besoin d’aide, elle te contactera à l’école. Tu dois y retourner, au moins pour elle.*
Siri acquiesça sans un bruit. Brume avait raison, bien sûr, mais pour le moment, elle avait trop de mal à analyser la situation. Elle qui était si calme, d’habitude, se sentait perdue, affolée. Sans sa dragonne, que serait-elle ?
*Nous arrivons.*
Bientôt, Brume piqua du nez vers la forêt. Siri se pencha pour regarder. Au début, elle ne vit rien. Puis, alors qu’elles perdaient encore de l’altitude, elle aperçut une clairière loin en dessous d’elle. Quelques secondes plus tard, Brume se posa. Siri glissa le long de son flanc, et s’appliqua à détacher son sac de la selle. Elle ne se rendit même pas compte qu’elle essayait de ne pas regarder l’école jusqu’à ce que la dragonne l’interpelle : « Siri ». Alors, elle tourna la tête, et, pour la première fois depuis quinze années, elle posa les yeux sur le château et ses environs. Le parc était revenu à l’état sauvage. Alors que seuls quelques arbrisseaux grandissaient lentement lorsqu’elle avait quitté l’école, on pouvait à présent voir de larges arbres adultes, nettement plus fiers et plus beaux. Le lac, quant à lui, n’avait pas changé. Il était toujours du même bleu profond, reflétant le ciel et les nuages. Enfin, Siri observa le château dans lequel ses jours avaient été un pur bonheur : la pierre, bien sûr, n’avait pas bougé, et les murs semblaient aussi accueillants qu’à l’ordinaire. Aux fenêtres, la plupart des carreaux étaient cassés, et le toit avait besoin de nombreuses réparations. Siri et la dragonne avancèrent donc en silence vers le château, redoutant son aspect intérieur. La dragonne pu tout juste entrer dans le hall. Ce dernier, toujours illuminé par les nombreuses fenêtres, était plus que poussiéreux et Siri ne chercha pas à compter les toiles d’araignées. Elle fit ainsi le tour du château, seule, puisque Brume était trop grande pour passer par les portes. Dans chaque pièce, de nouveaux souvenirs resurgissaient du passé, et de nouvelles larmes coulaient sur les jours de Siri. Pourtant, ces larmes, plus qu’une épine, était un baume sur son cœur. Se souvenir de ses amis lui redonnaient en effet peu à peut la vie.
De longues minutes plus tard, elle arriva dans la dernière pièce, celle qu’elle avait évitée : son bureau. Siri poussa la porte, le cœur serré. Qu’était-il advenu de cet endroit où elle avait passé de longues heures à chercher comment améliorer cette école, à répondre aux questions des nouveaux élèves, à inscrire de nouveaux dragonniers... ? Elle entra dans la salle. L’obscurité gagnait cette dernière, les rideaux étant tirés. Siri aurait bien sûr pu les ouvrir à l’aide de la magie, mais elle n’était pas totalement réhabituée à utiliser ses pouvoirs, les longues années qui se bousculaient derrière elle l’ayant empêchée de faire de la magie devant sa fille, et de toute façon, elle voulait elle-même tirer les rideaux, et sentir à nouveau le lourd tissu entre ses doigts.
Une fois la pièce éclairée, Siri en fit le tour. Elle passa devant la bibliothèque de bois sombre où elle avait des ouvrages sur la magie, devant l’armoire où elle rangeait les dossiers des élèves, devant la carte de l’Alagaësia qui indiquait la position de chaque œuf trouvé par les dragonniers, devant le petit fauteuil où elle aimait s’installer pour réfléchir, puis parvint devant le meuble qui se trouvait au milieu de la pièce : son bureau. De nouveaux souvenirs envahirent l’esprit de Siri, alors qu’elle posait la main sur le bois, tout aussi poussiéreux que le reste de la salle et du château. Elle s’assit derrière le bureau, sur le siège qui avait été sien. En face d’elle, se trouvait la porte. Elle se souvenait à présent : souvent, elle avait été assise à cet endroit, et elle avait regardé la porte, qui était ouverte, où se trouvait un jour Eifir, un jour Illecamie, un jour Pierrot, un jour Equina, un jour Grmin...
Sujet: Retour et souvenirs | Ven 11 Jan 2008 - 16:48
