Dieux que ça faisait longtemps que je n’avais plus posé les pieds ici ! Les couloirs séculaires de l’école des dragonniers résonnaient du bruit de mes pas, et d’eux seuls, je ne croisai personne. Cet endroit surnaturel donnait l’impression d’être hors du temps. Je ne m’étais jamais totalement éloigné de l’école, toujours un œil sur ce qu’il s’y passait, mais il m’étonnait franchement qu’on ait fait appel à un Parjure pour y dispenser des cours. Est-ce que les dragonniers manquaient franchement de personnel compétant ? Ou est-ce que j’étais aussi bon que je le croyais ? Cette pensée me fit rire tout seul tandis que je descendais au trop un escalier en colimaçon.
L’école était relativement labyrinthique, vestige d’une époque où nos confrères chevaucheurs de lézards étaient légion et où elle grouillait d’une activité incessante, sans cesse renouvelée. Période révolue s’il en est. Un souffle d’air s’engouffra par les meurtrières, faisant voler mes restes de cheveux et la poussière sur le sol, petit nuage grisâtre et tristounet.
Je débouchai dans un énième couloir. Seul j’aurais été bien incapable de dire dans quelle direction aller, mais cette brave école prit la peine de m’aiguiller d’une petite impulsion mentale. Mon manteau vola derrière moi quand je repartis brusquement. A une centaine de pas de ma salle de cours je croisai enfin un être vivant, deux en fait, une elfe et un nain qui conversaient à voix passe en traçant des arabesques en l’air, du bout du doigt. Je leur jetai un regard méprisant en reconnaissant les symboles qu’ils se montraient, ils faisaient partie des tisseurs de sorts de l’école, chargés de sa protection magique sur le long terme. Mais ces deux-là étaient risibles dans leur ingénuité. Ils ne me prêtèrent cependant pas attention, trop absorbés dans leur conversation. Le nain dit quelque chose qui fit rire sa compagne, et l’amusement remplaça mon mépris quand la femme aux longues oreilles, qui faisait bien son mètre quatre-vingt, se pencha pour poser un baiser au coin des lèvres de l’autre.
Une elfe et un nain… Rien de plus normal en somme.
A part eux je ne vis personne d’autre. La solitude ne me dérangeait pas, nous étions même devenus intimes, pourtant ma venue ici risquait de se révéler inutile si aucun élève ne se présentait. L’école m’indiqua complaisamment que j’étais arrivé, la porte n’avait rien de spécial, elle était verrouillée mais la clé jouait bien même si les gonds rechignaient visiblement à se laisser faire.
La salle de classe était relativement grande, garnie de nombreuses chaises, dotée d’une immense table ronde en son centre. Il y avait des coffres renfermant des figurines servant à mimer des armées, des cartes accrochés au mur, des cartes sur la table, des cartes dans tous les coins. Je trouvais les cartes inutiles. Je réfléchis une seconde avant de balayer l’immense table d’un revers du bras. Par un effet de ma magie, tout ce qui s’y entassait vola en l’air, laissant le chêne nu.

-Voilà qui est mieux… jugeai-je en opinant du chef.

J’entassai le bordel que je venais de créer dans un coin, ramassai une carte au hasard et un morceau de charbon qui trainait avec plusieurs écritoires pour tracer en lettres noires « OUVERT ! » sur le morceau d’écorce traitée qui avait servi à réaliser la carte. Le clou qui avait servi à la tenir au mur se retrouva sur la porte, supportant ma pancarte improvisée, et moi je m’assis face à l’entrée, les jambes croisées sur la table de chêne, ma besace posée sur les genoux.
Le sac en toile contenait divers ustensiles que j’avais cru bon d’emmener, des pierres précieuses, un scalpel… L’école nous fournissait amplement en réserve de magie, mais les pierres contenaient des sortilèges pré-créés qui me serviraient pour des mises en situation, car je comptais bien faire jaillir un terrain de jeu à échelle réduite de la table de chêne, plutôt que de faire s’entrainer mes élèves avec de bêtes cartes. Ils auraient droit à un relief en trois dimensions et de vraies illusions de soldats !
Quant au scalpel… Ça, ça serait une drôle de surprise, et peut-être l’espoir de faire mieux encore.

[Nop tu peux y aller, tant que c’est pas des trucs trop importants fais-le bouger autant que tu veux xD]

Un sourire goguenard se dessina sur mon visage tandis que je regardais un Marek Krayt effarouché, à tout le moins. Diable sieur Krayt, pour le grand dirigeant de toute l’Alliance du nord, quel manque de classe !

-Moi, effectivement, lui répondis-je sans me départir de mon sourire. Je sens comme une pointe d’étonnement chez toi non ?

Je haussai les épaules en retirant mes talons de la grande table en chêne pour me lever. Je n’étais pas petit mais Marek me surplombait quand même. Je tapotai la table de l’indexe et une brume diaphane sembla la recouvrir tandis que je m’avançais vers Marek, puis le dépassais, pour regarder dans le couloir.
Désespérément désert.

-J’ai l’impression qu’on va être en comité restreint… lui confiai-je. Au fait, t’as le droit de me tutoyer.

L’école avait le don étonnant d’aplanir les rivalités. Enfin, ça marchait comme ça pour moi. Ici on transmettait du savoir. Quiconque se remmenait aurait le droit d’apprendre ; nul n’était là qui ne soit de bonne volonté. La bonne volonté était une raison suffisante. Moi-même n’étais pas vraiment un dragonnier depuis que mon dragon m’avait abandonné était avait disparu de la circulation.
La brume sur la table se dissipa, révélant une plaine vallonnée et verdoyante, un paysage que j’avais croisé dans les campagnes australes, au Surda, même si l’endroit que j’avais représenté n’existait pas tel quel en réalité. La plaine verdoyante était enclavée à droite et à gauche par des montagnes abruptes tandis qu’elle se perdait aux extrémités de la table devant et derrière, si bien qu’on avait l’impression que cette illusions de paysage miniature formait un canyon, même si le subterfuge de ma magie nous donnait le point de vue trompeur qu’aurait un oiseau volant très haut.

-Je suis ici pour t’apprendre la stratégie, la tactique, et d’une manière générale tout ce qui concerne la gestion d’une armée, même les détails les plus barbants comme cette saloperie d’économie qui nous tire toujours en arrière. Je propose qu’on attaque si personne d’autre ne remmène sa fraise rapidement, qu’en dis-tu ?

Satané école, un vrai labyrinthe ! Le sens de l’orientation n’avait jamais été une des qualités de la drow, et la lecture de plan non plus. Elle se fiait plus à son instinct, qu’aux souvenirs des rares personnes qui lui avaient indiquées le chemin de sa salle. C’était une toute première fois pour elle, elle n’était jamais venue dans cette école, suivant l’enseignement de Samoth. Mais sans dragon, ce n’était plus très facile de suivre son apprentissage. Elle avait donc prit la décision d’aller à l’écoles de Dargonniers, pour se changer les idées, et voir du monde. Ce qui était plutôt étrange, étant donné qu’en ce moment elle fuyait tout contact. Mais bon, c’était pour la bonne cause aujourd’hui. Elle avait décidé d’assister aux cours de Stratégie guerrière. La guerre était probablement l’unique chose qui pourrait l’intéresser en ce moment. Elle ne dirait jamais non pour en apprendre toujours plus, étant dans cet univers depuis son enfance. Elle craignait cependant ce cours. Elle ne savait pas du tout qui en était le professeur, et quels seraient les autres élèves, ni que quelle manière les cours se déroulaient ici. Avec Samoth, qui est également son amant, elle n’avait aucun problème et se sentait parfaitement à l’aise, alors qu’ici, elle allait être face à un inconnu, avec des dragonniers probablement bien plus expérimentés qu’elle.
Au bout de quelques minutes, elle trouva enfin sa salle. Elle ne put s’empêcher de pousser un soupir de soulagement, s’imaginant parcourir les couloirs de l’école pendant de longues heures. Elle resta devant la porte durant une bonne trentaine de seconde, en se disant qu’elle arrivait un peu "léger". Elle n’était vêtue que d’une simple tenue en cuir de son épée, et de ses pierres d’énergie transformées en bijoux qui ne la quittait jamais. Elle haussa les épaules, de toute façon, c’était trop tard. Elle étendit rapidement son esprit, et sentit la personne qui semblait être son professeur, et une présence moins puissante, mais cependant bien plus familière. Légèrement rassurée, elle ouvrit timidement la porte et rentra. La salle ne ressemblait pas vraiment à ce qu'elle attendait, mais ce fut une agréable surprise, car elle s'imaginait déjà dans une vieille salle de classe moche et pas très engageante

- Bonjour - se risqua Djenka, légèrement mal à l’aise à l’idée de les déranger - Désolée du retard, je pensais que ça serait plus facile de s'y retrouver ici

Elle inclina légèrement sa tête à l'adresse de l'homme qu'elle ne connaissait pas, et sourit discrètement à Marek, heureuse de connaitre un visage, même si le cours ne semblait pas attirer grand monde.

[Je vois bine la Reine des Elfes décoiffant quelqu'un va^^]

Marek sourit, puis finit par dire:

- Oh tu sais, je crois que maintenant plus rien ne m'étonne finalement... Arkillon pourrait débarquer déguisé en poulet en chantant un air de l'est que ça ne me surprendrait même pas!

Il allait à nouveau répondre à Laïaga quand quelqu'un lui rentra dedans. Évidemment, il ne bougea pas d'un pouce, mais fut étonné de reconnaître Ellenwen.

-Alors Marek, on embête mon neveu ? On bloque les portes... C'est pas très sérieux tout ça...

Marek prit un air de gamin et dit d'une toute petite voix (pas facile pour un gars comme lui):

- Désolé madame, je le referais plus promis!

Il ne chercha même pas à se recoiffer, et enleva carrément le ruban qui nouait sa tignasse, pour laisser ses cheveux tomber sur ses épaules. On aurait dit un grand lion avec une imposante crinière brune.


Puis arriva Djenka, à qui il adressa un sourire assez terne finalement. Il devinait la peine qui encombrait le cœur de sa dragonne et par extension celui de sa dragonnière...

Prenant un air sérieux, il lâcha (non pas une caisse):

- Alors comme ça, Laïaga, Ellen est ta tante? Intéressant...

Puis il murmura, assez bas pour être entendu cependant:

- Pistonné...

-Ah… répondis-je bêtement.

Je m’imaginai, non moins stupidement, Arkillon qui débarquerait déguisé en poulet, mais la vision incongrue avait beaucoup de mal à s’imposer à mon esprit. Je haussai les épaules en poussant un soupir :

-Je n’étais quand même pas aussi extrême hein, lui dis-je avec une pointe d’exaspération que je n’essayais pas du tout de cacher. D’ailleurs tu…

Mais il ne sut jamais ce qu’il, puisque la voix d’Ellen’ me coupa alors qu’elle essayait de sauter assez haut pour lui ébouriffer les cheveux. Ce qui n’était pas une mince affaire même si elle s’en tira honorablement. Du coup mon sourire goguenard devint franchement amusé, je me penchai de côté pour voir qui ma tante saluer pour découvrir cette fois une parfaite inconnue.
Une parfaite inconnue forte originale.
Des oreilles et une svelte silhouette d’elfe. Mais une peau sans équivoque. Je pouvais compter sur les doigts de la main les drows que j’avais croisés. Dans le genre réservés et renfermés sur eux-mêmes, les mystérieux cousins de nos amis les elfes du Du Weldenvarden décrochaient le pompon !
Ils étaient au choix targués de porter malheur, d’avoir le mal chevillés au corps, d’être des elfes possédés par d’horribles démons, de faire subir d’atroces sévices aux nouveaux nés. J’étais cependant plutôt réfractaire à ce genre de préjugés : j’avais vu des hommes s’accuser de pareils méfaits entre eux, à tort et à travers pour un millier de raisons stupides. Et il fallait bien avouer que je ne connaissais au demeurant rien de cette race.
Aussi je me contentai d’un « bonjour toi ! » deux doigts sur les lèvres en guise de salut à la manière des elfes à la peau claire.

-Pas de problème pour le retard, on n’avait même pas commen… Ellen’ arrête de faire des grimaces ! lançai-je à ma tante en retenant tant bien que mal un rire.

Je ferais presque sérieux ? Étonnamment, c’était le but recherché, mais naturellement, Ellen avait cassé tout mon effet. A se demander quel intérêt il peut y avoir à avoir le visage bardé de cicatrices et un air de tueur…
Je lui rendis sa bise avant de répondre en haussant les épaules :

-Un prof sérieux ça me semblait bien à moi, et sinon Marek je t’emmerde !

A peine arrivée, qu'une nouvelle personne débarqua, qui percuta l'imposant Marek de plein fouet. La drow ne put s'empecher de sourire devant le comique de la situation. Elle était tout simplement minuscule à côté du magicien ! Cependant, ca ne l'empecha pas de décoiffer l'homme, qui l'espace de quelques secondes ne ressemblait plus à grand chose. Décidemment, ils se connaissaient tous ici. Oui, parce qu'elle se doutait qu'elle ne rencontrait pas Marek pour la première fois, ce n'était pas exactement le genre de réaction que l'on avait en le rencontrant. Elle apprit ensuite que c'était la tante de son professeur. Elle semblait bien jeune pour ça. Elle l'observa un peu plus, et s'étonna de sa bétise. Ben oui, une elfe, et qui semblait tout aussi puissante que son neveu, donc pas une élève. Elle se retourna ensuite vers l'elfe noire et lui sourit en se présentant. Ellenwen. Ah bah oui, reine des elfes, satané mémoire ! Décidemment, sans Dark elle n'était pas grand chose.

- Enchantée, moi c'est Djenka

Elle ne s'encombra pas d'inutile courbettes, simplement un salut comme les elfes. Ellenwen ne semblait pas être une Reine méprisante, et paraissait être venue en tant qu'amie plutôt que monarque.
Grace a la grosse voix de Marek, elle en sut enfin un peu plus sur l'identité de l'homme. Un parjure, voilà qui promettait un cours bien plus qu'interessant, elle devinait qu'il n'allait pas s'ennuyait à enseigner d'une manière...ennuyante.
Marek ne put evidemment s'empecher une petite réplique à l'adresse de Laiaga, qui ne se géna pas pour lui répondre de la même manière. Elle se retourna vers Ellenwen, et fit mine de soupirer avant de lui répondre.

- Oui, c'est ça l'inconvenient des hommes, ils ne grandissent jamais ! Et oui, je pense que c'est ce qu'il va se passer, et je me demande comment ça va finir, je ne connais pas encore Laiaga, mais je peut dire que la fierté de celui-ci - dit elle en regardant Marek d'un air joueur - promet un cours plutôt mouvementé.

Elle se demandait quand même si l'ex chef de l'Alliance irait jusqu'a défier leur professeur, ce qui était tout à fait son genre après tout. Elle qui voulait de l'action, elle était bien tombée !

Je haussai les épaules à la remarque sur les cicatrices qui couraient sur tout mon corps. J’eus un petit rire intérieur en pensant au fait qu’elle n’avait jamais vu que mes mains, peu entamées, et mon visage, dont une grande partie était rendue inutilisable par la trace de brûlure que je n’avais, elle, pas réussi à faire disparaître malgré mes efforts. Enfin, techniquement, c’était de la peau comme tout le reste, mais en pratique, à peine avais-je entamé la chaire que… j’en avais encore des frissons, et mon sourire intérieur se fana quelque peu.
Je ris néanmoins de bon cœur, convenant que j’avais l’air d’un estropié de guerre :

-J’étais très sérieux il y a quelques minutes, c’est toi-même qui l’as dit, je te rappelle !

Je lui fis un clin d’œil à nouveau, en prenant bien soin d’éviter le sujet de mes cicatrices. Pour l’instant elles m’avaient bien servi, et elles auraient probablement encore l’occasion de se rendre utile. En plus, d’un point de vue plus extérieur, elles représentaient une première dans l’histoire de la magie, ou alors, la dernière personne à s’être amusée à ce genre de jeu n’avait pas laissé de trace après sa mort.
J’avais même prévu de creuser un petit-peu plus la question, même si je doutais qu’Ellenwen apprécie, je n’étais plus à ça près. Quoi que pas très morales, de simples illusions suffiraient à me rendre une allure humaine. Ça reviendrait à vivre avec un masque sur le visage, mais je devrais m’y faire.

-Mon cours se passera dans le calme et la discipline, lançai-je à l’attention de la drow et d’Ellenwen, non sans ironie. N’écoute pas les mauvaises langues qui me vilipendent, je suis un garnement sérieux.

Mais je ne pouvais m’empêcher d’être admiratif de la façon dont Ellen’ avait parfaitement anticipé ce qui se serait probablement passé sans qu’elle ne le fasse remarquer. Un petit peu moins de la façon dont Djenka semblait prompte à nous juger, mais je pris sur moi, et haussai les épaules de nouveau :

-Tu verras qu’un arrivera à se tenir, mon amie, lui dis-je. A tout hasard, je sais que Marek est le chef de l’Alliance, mais toi, est-ce que tu as des notions de stratégie ?

Hally avait démarré pour ce cours quinze minutes plus tôt. Et elle ne voyait pas passer le temps, alors c'était en prenant son temps et sans remarquer qu'elle était en retard qu'elle se dirigeait vers ce nouveau cours.
Enceinte, elle s'était dit que les entrainements physique, il valait mieux les éviter. Pour ce qui était de la magie - sans trop pousser non plus - restaient tout de même importants pour continuer à s'améliorer, et cette histoire de Stratégie Guerrière avait plut à Hally. Elle avait donc décidé d'y participer.
Alors qu'elle se demandait qui leur enseignerait cette discipline et qui participerait à ce cours, elle s'arrêta à quelques mètres de l'entrée de la salle de cours. Elle avait bien sur imaginait qu'il y aurait probablement un bon nombres d'élèves, mais de là à y avoir un bouchon à l'entrée ... Elle s'approcha doucement, sans faire de bruit. Elle reconnut Djenka qui parlait avec une elfe. Elle vit un homme de dos juste à l'entrée de la salle, et comprit qu'il s'agissait de Marek. Au moins, elle en connaitrait deux. Le professeur - ou la - étant à l'intérieur, elle ne voyait pas qui c'était. Arrivée presque à leur hauteur, les premiers mots qui arrivèrent à ses oreilles la firent grimacer.

- Faut jamais avoir de garçons...

Ca tombait mal, elle attendait justement un des représentants de ce sexe !
Djenka se présenta, et dans un même mouvement, les élvèes présents libérèrent l'entrée. Hally n'entendait plus ce qu'ils disaient du coup !
Elle dépêcha de les rejoindre, et après avoir frappé un coup à la porte, elle entra. Si elle comprenait bien, Marek parlait de Samoth, nouveau Chef de l'Alliance, et présentait Djenka au professeur, un homme dont le visage était plein de cicatrice que Hally ne connaissait pas.

- Bonjour tout le monde. Je suis désolée si je suis en retard, je n'ai pas vu l'heure. Je suis Hally, dragonnière de Eluna.

Tout en parlant, elle s'approcha de Marek et Djenka qu'elle salua avec un sourire, et des deux inconnus d'un hochement de tête.

Malgré les paroles d'Ellenwen, Laïaga leur assura que le cours ne se passerait pas comme elles le disaient. De toute manière, ce n'était pas ce qui inquiétait la drow. Elle n'était même plus du tout inquiète. Que le cours se passe calmement ou pas, elle se doutait qu'il serait utile, et qu'elle n'était pas venue pour rien. L'elfe avait raison, les années et les guerres avaient marquées son visage, et même si elle ne trouvait pas ça serieux, Djenka trouvait ça plutôt pas mal. Au moins, on voyait qu'il savait de quoi il allait parler.
Il lui demanda d'ailleurs si elle avait quelques notions en la matière. Avant même qu'elle ne puisse ouvrir la bouche, Marek ne laissa pas passer l'erreur de leur professeur. Il ajouta même une petite précision que l'elfe noire trouvait inutile. Elle leva les yeux au ciel et soupira, mais ne put cependant s'empecher de sourire.

- Je ne m'y connais pas énormément, les notions de bases, et peut-être moins encore. J'ai surtout des connaissances de la guerre du savoir des drows, qui n'est pas toujours très loyal.

Pas loyal, mais efficace. Elle avait commencé à s'entraîner à la guerre et à la magie à l'âge de dix ans, et ce qu'elle avait apprit de son peuple, c'était de profiter au maximum du désavantage de l'ennemi, même si pour celui il fallait tromper, manipuler, ou tuer des innocents. Ca n'avait jamais dérangé Djenka, mais elle savait qu'ici, elle devait faire des efforts car ce genre de pratiques n'étaient pas vraiment appréciées. Quoique, d'après ce qu'elle venait d'entendre, Laïaga était un parjure, peut-être qu'ils agissaient d'une manière peu différente.

- Je suis encore très jeune, et je dois avouer que je manque d'expérience, c'est pour cela que je n'ai dirigé qu'une armée une seule fois dans ma vie. Donc niveau stratégie, je pense avoir encore beaucoup à apprendre.

Oui, une guerre. Contre le Saint Empire, que l'Alliance et les elfes avaient gagné. Mais elle gardait un souvenir douloureux de cette guerre, son combat avec Seardwin avait été plutôt éprouvant, et c'était d'ailleurs ça qui lui avait valu la victoire.
Alors qu'elle tentait d'oublier cet affreux souvenir, une nouvelle personne arriva, et un immense sourire se forma sur les lèvres de Djenka. Son amie n'avait pas totalement arrété toute activité liée à son statut de dragonnière malgré sa grossesse. Elle lui rendit son sourire, heureuse de voir une nouvelle personne familière assister au cours de Stratégie

Était chef de l’Alliance ? Je haussai un sourcil en regardant Marek, attendant des explications, mais il se contenta de me parler de l’amant de la drow, sujet dont je me fichais éperdument. En revanche, le nom de Samoth, s’il s’agissait bien de Samoth Wotan, ne m’était pas inconnu. Je rangeai l’information dans un coin de ma mémoire et me promis très fort que je me chargerais bientôt de me tenir au courant des dernières évolutions en Alagaësia. J’avais appris il y avait tout juste un mois que ma chère tante dont il ne me semblait pas qu’elle soit amatrice de mondanités qu’elle était reine des elfes, et ça s’était passé sur un champ de bataille… Plus tard dans une geôle du Concile je découvrais qu’elle était privée de magie et que ça la rongeait de l’intérieur… Bon la nouvelle de la passation de pouvoir à la tête de l’Alliance restait plus légère, mais au demeurant, ça me faisait cruellement ressentir mon ignorance de ce qu’il se passait dans mon pays.
Quoi qu’en fait, je ne m’intéressais plus guère au devenir de cette bonne vieille Alagaësia. Elle avait déjà prouvé qu’elle n’avait pas besoin de moi, dans un camp ou dans l’autre ! N’eut été ma vanité et quelques vieilles connaissances je n’avais pas trop de raison de revenir.
Ah, ça et le fait que je ne savais guère où aller à part…chez moi.
Drôle de pensée pour quelqu’un qui prétend s’être totalement détaché de ce lopin de terre.
Un jour j’arriverais à me comprendre moi-même. Mais ça n’était pas encore aujourd’hui, tant il me suffisait de me pencher sur certaines de mes actions pour être incapable de dire exactement ce qui m’avait poussé.
Qu’est-ce que je fais ici ? Non, vraiment trop cliché, la question bateau par excellente, et je n’étais pas exactement un philosophe !

-Mouais je prends note… répondis-je distraitement à l’ancien chef de l’Alliance.

Je poussai un soupir en entendant la femme qui venait d’arriver – Hally, la première dragonnière enceinte que j’aie jamais vue… comme quoi même les dragonnières pouvaient avoir des enfants – et contournai Ellenwen pour sortir de la salle en quelques enjambées rapides.
J’attrapai au passage le même crayon qui m’avait servi à tracer les lettres sur la pancarte à l’entrée, et ajoutai, appuyé sur le battant de la porte, un « retards acceptés ! ». Je penchai la tête de côté en observant mon écriture hachée et légèrement tremblante et ajoutai finalement, avec toute la finesse dont j’étais capable, une chope qui débordait de bière moussue, juste à droite du texte. Satisfait, je revins dans ma salle :

-Bon, pour le retard, je passe, fis-je à Hally. T’en es où niveau expérience toi ?

Je me retournai vers Djenka, une petite lueur dans les yeux. Le savoir des drows ? Je lui fis un mince sourire carnassier :

-La loyauté, c’est bien, mais pas toujours, lui répondis-je. En revanche, les tactiques drows m’intéressent assez, tu peux développer ? Et puis…

Je haussai les épaules :

-« Je n’ai dirigé une armée qu’une seule fois dans ma vie », c’est déjà un bon début. Euh…

Je regardai autour de moi. J’avais déjà vu Ellen’ commander, même si c’était en tant qu’ennemi, en revanche la femme enceinte – Hally – me restait une parfaite inconnue.

-Bon, vu que je me suis pas encore présenté, je m’appelle Laïaga Sin’Saïan, fis-je finalement. J’ai quelques guerres derrière moi maintenant, et c’est pour ça que je me retrouve ici à jouer les profs, j’ai beau être un Parjure et avoir renié l’ordre des dragonniers (mon cœur se serra en pensant à Yarrock, mais naturellement, personne n’en vit rien : j’avais fait bien mieux que renier les dragonniers… j’avais renié mon dragon. Je cherchai du bout de la conscience un reste du lien empathique qui nous unissait, mais il semblait totalement disparu… évaporé à jamais ?), je suis ici de mon plein gré et plein de bonne volonté pour vous apprendre tout un tas de choses utiles !

Je fermai la porte derrière moi d’une pichenette de la main ; les gonds protestèrent à peine, et repris :

-La logique veut qu’on organise ce cours autour de travaux pratiques, puisque votre meilleur atout sera votre capacité à improviser, je ferai donc de mon mieux pour mettre ça en place, mais un peu d’aide ne sera pas de refus pour matérialiser deux trois armées de temps à autres. Ah, et pour ceux qui se posent la question, les petites runes sur ma peau sont des sortilèges… Ni malédiction ni perte de contrôle de ma magie, donc. Bon, y a des questions ?

…qui me laisseraient le temps de savoir par où commencer. Je n’avais pas une grande expérience de la pédagogie, et je n’arrivais absolument pas à voir comment je pourrais faire un cours théorique sur la stratégie… « bon les enfants, aujourd’hui on va apprendre qu’il ne faut pas envoyer votre cavalerie sur les piquiers. » Ça semblait ridicule.
Mais mettre en place un champ de bataille où tous pourraient apporter leur contribution semblait difficile aussi. Le mieux serait sans doute d’en désigner un pour mener la bataille à proprement parler sous les commentaires des autres.
Du reste, même si j’avais déjà vu certains de mes élèves au feu, il restait difficile d’avoir une idée précise du niveau de chacun, et il me faudrait un peu de temps pour m’adapter.

Sans rien répondre, l'homme aux cicatrices alla chercher un crayon et écrit quelque chose à la pancarte de la porte d'entrée. Hally put déchiffrer que les retards étaient acceptés. C'aurait été bête qu'elle soit renvoyée de cours pour deux petites minutes de retards ...

-Bon, pour le retard, je passe. T’en es où niveau expérience toi ?

Hally chercha en vain une bataille qu'elle aurait oublié, puis finit par répondre :

- J'ai combattu pour l'Alliance à deux reprises, la première sur les Iles de Beirland contre les pirates, et la seconde aux côtés de Djenka lors de la dernières guerre. En d'autres termes, je n'ai quasiment aucune expérience et c'est pour ça que je suis venue à ce cours ...

Leur professeur se présenta. Hally reconnut son nom, et n'eut pas à chercher où : il expliqua de lui même qui il était. C'était un parjure, mais sans s'attarder sur ce sujet, il leur certifia qu'il était là pour enseigner de son plein gré. Il continua son explication sur le déroulement du cours, puis leur laissa la parole pour leur questions. Cependant, personne n'eut le temps de dire quoi que ce soit, à gauche de Hally, la porte s'ouvrit d'un coup. Une dragonne à l'entrée de la salle avait essayé d'ouvrir la porte, mais la seule chose qu'elle réussit à faire avait été de faire tomber la porter sur le sol avec un grand bruit.
Hally regarda la belle créature surprise de son entrée, puis quand nouvelle arrivante prit son arrivée à la rigolade, Hally se détendit. Hally savait qu'à sa place - même si c'est impossible vu qu'elle n'est pas une dragonne ...- elle aurait été terriblement gênée et n'aurait su comment réagir !

[ Desolée pour la longueur ]

Avant de leur répondre, et suite à l'arrivée de Hally, le Parjure soupira et se déplaça jusqu'à la porte d'entrée pour rajouter une petite phrase sur la pancarte artisanale. "Retards acceptés". Il devait probablement en avoir marre de ces excuses. Peu importe, de toute façon, il n'avait pas l'air d'être un homme qui se prenait la tête inutilement, et les retards ne semblaient pas l'énerver. Il demanda ensuite à Hally si elle avait de l'expérience dans ce domaine, et les paroles de la future mère firent sourire la drow. Oui, elles avaient dirigé les troupes de l'Alliance ensemble, et si elle était en vie, c'était probablement grâce à son amie, et Eluna, qui s'était occupée de l'affreuse créature de l'ombre pendant que Dark s'emparait du corps de la drow. D'ailleurs, à Beirland aussi elles étaient ensemble. Décidemment, il y avait eu beaucoup d'activité dans l'Alliance ces derniers mois. Maintenant, c'était bien plus calme...
Il lui demanda ensuite d'en dire un peu plus sur les tactiques aussi sombres que ces elfes. Elle hésita. C'était un savoir que les maîtres ne transmettaient qu'à cette race. Après quelques secondes de reflexion, elle haussa les épaules pour elle même et répondit. Après tout, elle n'était pas un maître, et elle n'en savait pas énormement. Ce qu'elle savait n'allait surement pas étonner les personnes présentes.

- Les elfes noirs jouent sur la sensibilité de leur ennemis. Emotionelle d'abord. Utiliser d'atroces tortures ou pratiques pour tuer, et destabiliser le reste de l'armée, pendant qu'on les attaque sur un autre front par exemple.

Elle ne se risqua pas à en dire plus. Ils étaient un peuple plutôt "caché", et le savoir drow était surtout de rendre le combat aussi attirant qu'un jeu, et des techniques de combats pas très jolies. Mais ici ce n'était pas un cours de combat, mais de stratégie. Ils sont cruels, sans pitiés. Agissant sous un instinct animal, mais en même temps intelligent. Pour leurs propres interets. Un peu comme des ombres en fait. Même si bien evidemment, il ne fallait pas tous les mettre dans un même panier.

- Ce n'est certes pas inventé par les drows, enfin probablement, mais les elfes et humains n'agissent pas ainsi, ou très rarement. Je ne peux pas vraiment vous en dire beaucoup plus, navrée. J'ai tout juste vingt ans d'expérience au combat derrière moi, et je suis jugée trop "sentimentale" chez les miens pour mériter leur techniques de guerres.

Vingt ans, dans une vie d'elfe ou de dragonnier, ce n'était rien. Même si pour elle, agée d'une trentaine d'année c'était beaucoup, elle était consciente de sa jeunesse et de son manque d'expérience, surtout dans ce nouveau monde. Son professeur avait probablement bien plus d'années d'expérience et de guerres qu'elle ne pouvait l'imaginer. Ce qu'elle pensait se confirma à peine quelques secondes après quand il se présenta. Le fait qu'il soit un parjure ne l'effrayait nullement -ou du moins en ces lieux - si il avait décidé de leur enseigné son savoir, il n'allait pas les tuer sous prétexte que leur interets divergent. Il expliqua ensuite comment allait se passer son cours. Travaux pratiques, génial ! C'était pour elle le meilleur moyen de voir les défauts des élèves, et elle se doutait qu'il n'allait se géner pour les corriger ou les conseiller. Il fit ensuite allusion aux runes sur sa peaux, et précisa que c'était des sortilèges. Djenka n'avait jamais rien vu de tel, et se retenait de demander plus d'explications à Laïaga. Alors qu'elle le fixait d'un regard qui pourrait paraitre déplacé, la porte derrière elle fit un bruit bizarre, et elle eu à peine le temps de s'écarter avant de la voir s'écraser sur le sol. Instinctivement, elle porta une main à sa hanche ou se trouvait son épée, pour voir une toute jeune dragonne à l'encadrement de la porte. Une dragonne... a poils ! Voila qui était surprenant. Elle entendit alors la petite voix de la créature dorée s'excuser en rigolant. Elle lui sourit, en esperant que son comportement n'exaspère pas Laïaga.

- Bonjour Skulblaka. Tu aurais pu simplement manifester ta présence, nous t'aurions ouvert, ça aurait éviter de manquer d'assomer quelqu'un - lui murmura-t-elle en lui faisant un clin d'oeil - même si bien evidemment, je sais que tu n'as besoin de personne pour te débrouiller.

Ca aurait juste faciliter les choses. Humant discrètement l'air, Djenka ne reconnut aucune odeurs d'elfe ou d'humain autour de la dragonne. Sauvage donc, bien qu'habituée au contact des deux pattes, d'où sa présence ici. La petite boule de poil lui semblait familière. Peut-être que Dark l'avait déjà rencontré. Elle tenta de communiquer à sa moitié, ou même de fouiller dans ses souvenirs. Rien, un mur. La dragonne n'était pas encore prête à revenir ou à partager son chagrin...
La jeune elfe se retourna ensuite vers la parjure, se décalant pour laisser la dragonne s'avancer, et attendit impatiemment que le cours commence.

Je hochai la tête à la réponse de la dragonnière enceinte. Bien, après tout, le manque d’expérience serait peut-être un atout finalement. La stratégie n’a rien d’une science, et ça m’éviterait ainsi de me retrouver confronté à d’autres doctrines, d’autres points de vue.
En même temps que je formulais cette pensée je me rendais compte de sa stupidité, c’est bien dans le débat et les discussions que l’esprit progresse, et élaborer une stratégie et une tactique efficace, c’est clairement une activité de l’esprit. Une réflexion intense. Enfin plus ou moins. Il y avait des gens qui se débrouillaient très bien avec leur instinct et une capacité d’analyse déroutante de naturel.
Mais je disparaissais peu à peu des champs de bataille. Il m’importait peu de m’améliorer, maintenant. En plus, s’ils savaient déjà tout, ils n’avaient plus rien à faire en cours, ces braves gens…
J’écoutai ensuite attentivement la drow, Djenka, mais elle ne m’apprit rien de bien original. Sa réplique, en revanche, me tira un rire cynique :

-Je n’ai jamais eu l’occasion de combattre les drow, lui répondis-je, on croise rarement les tiens par ici. En revanche, j’ai commandé des hommes, et crois-moi quand je te dis qu’ils peuvent faire des choses très rigolotes si seulement ils se sentent suffisamment immunisés pour ça !

Laïaga n’avait jamais cautionné les actes de barbarie. Il était un preux chevalier au cœur tendre, ou quelque chose dans ce gout-là, en tout cas, depuis les quelques dernières années, si je pouvais me montrer impassible jusqu’à la cruauté, j’évitais au moins les effusions de sang gratuites… enfin trop gratuites…
Séïnna c’était une autre histoire. L’enflure d’Ombre qui avait habité mon corps pendant quelques douloureux siècles n’était pas sujet aux remords, ni à la culpabilité. Il n’était pas hermétique aux sentiments, entendons-nous, pour un Ombre, il était même plutôt sensible, mais d’une manière qui dépasse sans doute l’entendement des simples mortels qui courent le monde. Qui dépasse le mien en tout cas.
Et sa manière de sensibilité si originale l’autorisait sans trop se faire prier à commettre les pires exactions. Séïnna en son temps avait fait de grandes choses. L’Ombres sadique, cruel, violent et lunatique avait gagné des batailles, vaincu des armées sans tirer son arme du fourreau. Seul sur un champ de bataille face à des milliers d’hommes qui débandaient. Armé de sa seule réputation tâchée de flots de sang, des mers de sang, des océans de sang. Il était toujours très instructif de me rappeler ce que les hommes qu’il – que je – commandait à l’époque étaient capables de faire, convaincus qu’ils ne craignaient rien, tentés d’imiter leur seigneur noir, autoproclamés au-dessus des lois.

-Je crois que les humains feraient pâlir les drow de jalousie, en fait, repris-je avec un sourire en coin. Ce sont de grands artistes. Bon, par quoi on va commencer…

Je me retournai vers la grande table ronde, commençant d’imaginer un scénario, un combat auquel mes élèves participeraient, les uns contre les autres ou en m’affrontant ? Je n’eus pas le temps de répondre à cette question que la porte s’effondrait dans un bruit sourd.
Mais nous étions dans l’enceinte de l’école, la paix régnait en maîtresse absolue ici. Je ne sursautai même pas, je n’avais jamais vu personne se battre ici, pas même se quereller, allez savoir pourquoi. Peut-être que l’endroit irradiait une aura apaisante ? Je me retournai en fixant la dragonne – à fourrure ! – qui venait de franchir le seuil.

*Je crois que tu as abimé mon joli dessin… fis-je dans son esprit d’une voix dépitée.*

Effectivement, en baissant les yeux, on voyait que mon écriteau de fortune orné d’une choppe débordante de mousse s’était arraché du clou où je l’avais fiché, et qu’une déchirure le marquait comme une balafre.

*C’est dommage…Bienvenue sinon.*

Je me détournai de la dragonne pour poser les mains à plat sur la table ronde. On eut d’abord l’impression que le bois se mettait à onduler, avant qu’il ne soit clair que c’était l’air juste au-dessus du plateau qui changeait… disons… de texture. Des montagnes miniatures jaillirent du néant, encadrant une plaine vallonnée. La plaine était une vallée enchâssée entre deux chaînes deux montagnes, si bien qu’elle séparait la table en deux. Aux extrémités de la table, la vallée, les montagnes, les bosquets et les bois disséminés ci et là sur l’illusion disparaissaient progressivement, perdaient leur substance, si bien que la scène était à peu près parfaitement circulaire, et à vue de nez, le diamètre de la table représentait vingt kilomètres de long, ce qui était aussi la longueur de la portion de plaine que nous avions devant nous, tandis que sa largeur allait d’une centaine de mètres en deux endroits, des canyons plus ou moins étriqués, à un peu moins de huit mille, là où elle formait un plateau à peu près sans dénivelé, sans bosquets, seulement recouvert d’une végétation rase et éparse.

-Voilà notre champ de bataille, annonçai-je à mes élèves. Il est somme toutes banales, je pense qu’on verra beaucoup de batailles en plaines ou dans des villes. Pour commencer…

Des milliers d’hommes fleurirent comme des marguerites, parsemant une portion de plaine, ils étaient en fait à l’extrême est, dans une partie plutôt rocailleuse, en pente, semée d’éboulis mais assez large, sans relief particulier à part les montagnes déchiquetées qui servaient à encadrer ma plaine sur toute sa longueur, et quelques formations rocheuses façon monticules de rocaille d’une dizaine de mètres au mieux, semés sans aucune raison géologique, mais selon mon bon vouloir.

-On a une armée blanche qui veut traverser cette vallée, continuai-je, et vous disposez de l’armée noire, plus faible en nombre, mais qui fait office de défenseur, et à donc eu le temps de se placer… Comment se placent les Noirs ?

[Je réponds bientôt, mais je vous fais déjà part des fruits de mon travail : une magnifique carte à la demande du narrateur des rps de Marek Enjoy & no comment...
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Je jetai un œil à la pleine représentée en trois dimensions au-dessus de la table, haussant un sourcil à la réponse de Marek :

-Ils n’ont guère d’autre choix que de s’enfoncer dans un coupe-gorge pareil, étant donné que sinon, ils sont venus jusqu’ici pour rien… Ce qui serait une magnifique victoire pour les noirs, mais bon, ‘faut pas rêver.

Je passai un revers de main au-dessus de la table après avoir écouté les dragonniers qui se trouvaient avec moi ; les soldats en armure noire apparurent sur les falaises qui formaient le canyon sis au milieu de la plaine. Finalement, pris d’un accès de folie créatrice, je fermai à demi les yeux, me concentrai un instant ; le monde s’illumina d’or et de blanc brillant, les couleurs de la magie, et je trouvai le noyau de pure énergie qui sous-tendait l’école, alimentant les innombrables sortilèges sur lesquels elle était bâtie et placée là pour venir en aide aux professeurs ; autant en profiter !
Ce fut bien plus incommensurable que tout ce à quoi je m’attendais, pourtant je n’en utilisai qu’une petite fraction : ce qui n’était que de bêtes illusions, des pastilles de couleur collées sur de l’air, ou quelque chose dans ce gout là, se transforma en une véritable image de la réalité, un fairth à al résolution délirante. C’était une image mentale qui était entrain de prendre forme. Un vrai délire mégalomane, en somme, mais dans ma tête, la vision se rapprochait, alors que j’embrassais au début toute la pleine, je ne viens bientôt plus qu’une armée, puis un homme, puis les détails de sa peau, ses yeux marron chocolat, les rides autour de sa bouche, la cicatrice sous son oreille droite, la barbe de plusieurs jours qu’il arborait, l’odeur de sueur et de crasse… Cela ne dura que quelques secondes où je me reposai entièrement sur l’école et ses ressources, et quand je rouvris les yeux, une bourrasque imaginaire souffla sur la plaine, faisant bruisser silencieusement les feuilles des arbres et rouler quelques cailloux, et en se concentrant assez fort, on pouvait voir les lèvres des soldats qui remuaient, animaient de leur babillage inaudible.
J’eus un petit sourire, satisfait :

-Joli non ? Bon, ceci dit, vous avez tout bon, j’attendais surtout qu’on me désigne cette passe. Effectivement il manque nombre de détails pour élaborer une vraie stratégie… Mais vous aurez rarement l’occasion de connaître une bonne estimation des forces ennemies, ou s’ils sont saouls ou sobres, ou la proportion de magicien qu’ils ont avec eux… Les dragonniers, c’est assez rare, alors partez du principe qu’il n’y en a pas… De toute façon, si vous y êtes, vous pourrez toujours improviser un combat singulier. Enfin, s’il est pas trop fort….

D’expérience, un dragonnier pouvait faire de ravages dans une armée. Communément, ils avaient surtout des positions de meneurs d’hommes, importants par leur charisme, leur influence sur le moral des hommes des deux camps, car faire des dégâts en masse requérait une énergie que quasiment personne ne possédait…
Mais s’ils s’y consacraient pleinement, de bons dragonniers pouvaient saboter toute une armée. Et puis, il y avait toujours les plus puissants, ceux qui claquaient des doigts et regardaient les dizaines d’hommes qui s’effondraient, en réponse.

-Notez que vous m’avez parlé de magicien – enfin, Szanghai – mais que vous auriez pu enchaîner en parlant de poser des pièges dans la plaine, avant le goulot d’étrangement. Vous ne prenez pas beaucoup de risques puisque dernièrement, je n’ai pas vu une seule armée aller au charbon sans au moins quelques magiciens. Et puis… Moi, j’aurais ajouté que les hommes qui ne sont pas cachés harcèlent les flancs des Blancs au cours de leur avance. Après tout, les Noirs ont l’avantage de connaître le terrain. Ça sèmerait le trouble, et rendrait le guet-apens plus aisé.
Mainenant…

Je réfléchis une seconde sur la composition des armées.

-Disons que les Blancs sont environ trois mille, contre six cent Noirs. L’équipement est sensiblement le même, mais tandis que les Blancs sont plutôt équilibrés – leur formation de base, c’est un carré de piquiers avec des arbalétriers au centre – les Noirs ont de nombreux archers et arbalétriers, et une centaine de cavaliers. Les Blancs ont deux fois plus de cavaliers, mais pas d’engin de siège, le plus communément, on préfère emmener les ingénieurs et les menuisiers plutôt que les armes qu’ils fabriquent, et se débrouiller sur place avec les forêts. Et le point intéressant, c’est que si les Noirs ont presque autant de magiciens que leurs adversaires, disons une cinquantaine, les Blancs sont aidés par cinq sorciers. Voilà pour les forces en présence. Ça me permettra de vérifier un petit truc, au passage, mais, si vous commandiez les Blancs, et que vous voyiez venir ce piège gros comme une maison, en même temps que des archers montés vous harcèlent comme des nuées de moucherons, à vous piquer les flancs, comment réagiriez-vous ?

Le truc à vérifier, c’était cette impression que j’avais qu’avec le temps, la magie prenait une place de plus en plus importante dans les guerres. Si c’avait été moins marqué durant la dernière guerre, la campagne du Surda, elle, avait vu à l’œuvre force sortilèges qui avaient résolu plusieurs batailles presque à eux seuls.