La présence, étrange et déroutante, hésita un moment sur le seuil de la porte avant de se diriger vers le bar. En conséquence, elle s’approchait dangereusement d’Abysse. Les sens en alerte, la jeune femme inspira lentement et décontracta chaque muscle de son corps, prête à entrer en action. L’aura que dégageait le nouveau venu lui inspirait une méfiance inexplicable. Les yeux fermement clos, Abysse ne consentit à les ouvrir que lorsqu’elle sentit une présence l’effleurer. Il ne s’agissait pas du nouvel arrivant mais d’un ivrogne. La jeune femme eut tout juste le temps de rouvrir les yeux et de se dégager du corps de l’homme ivre avant que celui-ci ne soit projeté quelques mètres plus loin.

Un homme venait simplement de le saisir par le col et de l’envoyer valser comme une vulgaire poupée de chiffon. Abysse plissa les yeux. A présent, elle pouvait mettre un visage sur la présence qu’elle avait perçu un peu plus tôt. Bien que d’apparence humaine, ce dernier semblait entièrement impliqué dans une aura magique et peu rassurante. La jeune femme détourna rapidement le regard pour le poser sur la manche de sa chemise. Une tache grise se distinguait nettement sur le blanc du tissu. L’ivrogne, en la bousculant, avait laissé une marque sur le vêtement. Fronçant les sourcils, elle essuya rapidement sa manche.

Son regard vint se poser ensuite sur le nouveau venu. Ce dernier avait fait une entrée des plus fracassantes. Beaucoup de têtes s’étaient tournées en sa direction et, à présent, tous les yeux cherchaient à fuir la silhouette de cet homme. Abysse ne jeta pas un regard à l’ivrogne à terre. Elle sentait sa présence, à quelques mètres de là. Le coup l’avait étourdi mais guère tué. Reposant son regard sur l’inconnu, la jeune femme le détailla rapidement. Il était plutôt grand, les traits fins et harmonieux. Ses yeux dégageaient une désinvolture et un dédain presque insultants.

A en juger par le charisme qui l’entourait et l’air suffisant qu’il affichait, il s’agissait d’un homme influant et sûr de ses capacités. Les flammes furtives et intrépides qui dansaient dans ses pupilles révélaient sa véritable nature. C’était une Ombre. Abysse connaissait bien les caractéristiques et les mœurs de ces créatures magiques, abandonnées à des sciences obscures. Elle n’en avait jamais rencontré mais avait eu le loisir de consulter la plupart des écrits à leur sujet. Les évènements prenaient une tournure intéressante. La jeune femme allait sans doute pouvoir étudier de plus près une Ombre.

Abysse répondit, dans un premier temps, par un sourire à la question de l’inconnu. L’Ombre ne semblait pas dégager d’intentions meurtrières ou dangereuses envers la jeune femme. Cependant, elle opta pour une attitude méfiante. Elle finit par lui répondre sur un ton aimable, en totale contradiction avec la gravité de son visage.

- Pas si cette femme sait se défendre.

Elle soutint son regard sans ciller. Ses yeux étincelaient d’une intelligence rare et d’une ironie mordante. Cet homme devait comprendre qu’elle était loin d’être une femme ordinaire comme il semblait être porté à croire.