Sous ce nom qui n’évoque absolument rien à personne – hormis peut-être quelque lopin de terre aussi perdu que le fin fond du recoin éloigné du monde où il se trouve – se cache un homme – officiellement – assez particulier dirons nous. Le constat saute aux yeux dès que ceux-ci se posent sur le curieux personnage. Non pas à cause d’une quelconque difformité ou des vestiges d’une rencontre malheureuse entre lui et toute chose susceptible de servir d’arme. De ce coté, le sieur de Pleynussac n’est pas à plaindre. Nulle ligne pâle ne vient troubler l’uniformité de son teint légèrement hâlé. Il n’a ni à se baisser pour franchir les portes, ni à risquer un torticolis pour regarder ses interlocuteurs dans les yeux. Ce qui accroche surtout le regard sont ses yeux qui d’un bleu mouchetés d’argent qui semblent à la fois se moquer du monde et tout prendre avec le plus grand sérieux. Certains affirment même qu’ils continuent à sentir le poids de ce regard même quand le Sieur de Pleynussac leur tourne le dos, chose que l’intéressé ne manque pas d’expliquer par des intentions pas toujours louables vis à vis de sa modeste échoppe et plus encore vis à vis des marchandises de la plus grande qualité qui ornent étagères et tables en bois précieux.

Chose assez amusante, Nöryab de Pleynussac s’intègre parfaitement à son échoppe, à tel point que des rumeurs affirme qu’il se vendrait lui même le temps d’une nuit à de gentes dames esseulées. Et nul doute que les dames en question seraient prêtes à vider leur bourse tant le Sieur de Pleynussac semble cumuler les qualités de beau ténébreux, du prince charmant, du vaillant preux chevalier dans son armure immaculée et de l’héroïque aventurier explorateur des contrées les plus exotiques tout en laissant de côté le plus infime de leur défaut. Ses cheveux mêlent l’éclat des grains de café torréfié aux nuances des champs de blé et ondoient à chacun de ses mouvements comme pris dans le souffle d’une brise printanière. Son sourire, même s’il n’a pas l’éclat des sourire colgate – il ne faudrait pas détourner l’attention de celui de ses marchandises – est la plupart du temps énigmatique, même s’il sait se faire outrageusement charmeur à certaines de ses clientes tout comme à certains de ses clients.

Difficile de cadrer parfaitement la personnalité du sieur de Pleynussac tant elle prend plaisir à partir dans tous les sens sans la moindre difficulté. L’éthique, la logique et toutes ces choses en ique lui sont parfaitement étrangères. Volontiers roublard, parfois sarcastiques mais toujours aimable, voire même professionnel dès qu’il s’agit de s’adresser à des clients qu’il n’a encore jamais vu – il ne faudrait pas les effaroucher, les pauvres. Il peut alors devenir un véritable moulin à paroles qui brasse les mérites de tel ou tel objet aussi bien que des blagues au goût étrange et des considérations non moins exotiques sur le monde tel qu’il est aujourd’hui – à l’entendre, on pourrait même croire que chacun pourrait devenir un dieu avec un petit peu de bonne volonté.

Véritable OVNI dans la société alagaësienne pour certains, personnage à faire disparaître dans une supernova pour d’autre ou encore véritable épine dans le pied, Nöryab de Pleynussac s’amuse comme un petit fou à côtoyer tous ces gens et à mettre à jour ce qu’ils cachent sous leur masque de respectabilité. Peut-on dire pour autant qu’il soit un as dans les relations humaines ? Pas forcément, tant le Sieur de Pleynussac semble se complaire à faire tourner certaines personnes en bourrique. Rien ne l’empêche de faire ce qu’il veut avec les gens qu’il lui arrive de tenir en estime, y compris les placer dans des situations abracadabrantesque ou à se foutre royalement de leur gueule. Tout cet aspect de la personnalité de Nöryab de Pleynussac reste cependant caché avec la plus grande efficacité aux yeux du monde. Pour la plupart, il ne sera rien d’autre qu’un marchand un tantinet vénal, à la parole facile, un brin excentrique et aux idées parfois aussi folles qu’audacieuses.

Force est de l’admettre, les péripéties antérieures à l’installation de Sieur de Pleynussac dans les murs d’Uru’Baen sont aussi connues que les pensées entretenues par les êtres hantant les vastes étendues silencieuses – pour quiconque étant incapable de percevoir la musique des sphères – de l’espace vis à vis des habitants de l’Alagaësia et plus généralement de ceux de la planète qui abrite cette contrée si paisible. Soit, il y en a bien qui doivent bien se marrer à la vue de ces mortels et immortels qui se tapent dessus pour de futiles querelles tandis que des systèmes solaires entiers tremblent sous la menace de Leviathan de métal et d’énergie mais au fond, est-ce vraiment important ?

Peut-être à l’échelle d’un certain Nöryab de Pleynussac pour lequel il était intéressant de ne pas voir cette charmante planète désintégrée par le nouveau jouet d’un Empire autrement plus puissant mais nettement moins saint que le Léonien. Mais tous les autres n’en avaient absolument rien à cirer – tant par commodité que par ignorance – et il en allait de même avec le passé du Sieur de Pleynussac.

Bien sûr, l’égo du principal intéressé pouvait légitimement en prendre un coup mais au moins pouvait-il soigneusement choisir quels aspects seraient donnés en pâture à la curiosité du bas peuple. Adieu donc les machinations diverses dans lesquelles il avait trempé pour obtenir telle ou telle curiosité, ceux qui voulaient le réduire en charpie pour quelque malheureux malentendu au sujet du cœur d’une certaine représentante de la gente féminine, ou encore un client sans cervelle qui n’avait su comprendre tous les intérêts qu’il y avait à posséder un antique artefact repoussant les citrouilles. Tout ceci, le Sieur de Pleynussac le gardait soigneusement pour lui même, ne laissant filtrer que des rumeurs promptes à susciter l’émerveillement et le désir de visiter son modeste commerce.

En quelques semaines et moultes tournées dans toutes les tavernes possibles et imaginables, le Sieur de Pleynussac s’était taillé une réputation d’aventurier qui avait visité plus de contrées que l’on oserait l’imaginer. A l’entendre, il n’était pourtant qu’un humble mercenaire itinérant avec un flair exceptionnel qui l’avait conduit dans les entreprises les plus improbables et l’avaient amené à côtoyer dignitaires tout azimuts. De ses pérégrinations, il aurait acquis le recul nécessaire pour rester soigneusement à l’écart des troubles politiques de l’Alagaësia tout en les bénissant intérieurement. Il n’y avait après tout, rien de tel qu’un bon conflit pour amener n’importe quel hère à vouloir se pavaner avec une épée aussi exotique que mortelle – aimablement vendue par le Sieur de Pleynussac bien entendu –, de telles débauches ostensibles de magie par ci par là qu’elle entrait presque dans le quotidien. Du pain béni pour son modeste commerce bien que, de temps en temps, son humble propriétaire se fendisse de discours patriote en faveur du Nomins Ageati, du Saint Empire Léonien ou de toute autre faction à laquelle son client pouvait bien appartenir.

Fier de sa neutralité et de sa réputation, Nöryab de Pleynussac avait finalement choisit de s’établir dans la capitale du Nomins Ageati. Les véritables raisons qui l’y poussèrent demeurent parfaitement inconnues mais d’après lui, la ville était la plus proche du monde extérieur que ne l’était la capitale Léonienne, en plus de lui éviter de se tracasser quant au moyen de faire passer sa marchandise à travers les frontières. Prétexte officiel car le Sieur de Pleynussac avait dans son modeste commerce bien plus de choses à vendre que de choses passées à travers les portes d’Uru’Baen – contrebande comprise. De la à comprendre qu’il y avait là dessous quelque manigance doublée de sortilèges exotiques, il n’y avait qu’un pas à franchir et il le fut plutôt rapidement.