Les vastes plaines étaient plutôt calmes, des oiseaux sereins planaient mollement au dessus des champs, et certains se posaient mollement sur un toit d’ardoise ou une cheminée. Parfois ils sautillaient entre les branches d’un petit arbuste torturé puis s’en repartaient. Plus en bas des vagues d’insectes bourdonnant joyeusement ondoyaient au dessus d’un tapis d’herbes jaunasses, voir verdâtres, moucheté de petites fleurs rouges, jaunes ou bleues. Ces dernières étaient d’ailleurs le seul objectif de ce ressac à élytres. Curieux, divers rongeurs écrasaient des brindilles sous leurs petites pattes menues en observant, avant de se faire attraper par quelque rapace ou de voir venir sur eux un gros bourdon ayant pris leur petit museau pour une corolle toute rose, comme de la guimauve. Quelques brins de lavande plus loin Errepèce, cultivateur de son état, la tête sous un large chapeau de paille, époussetait méticuleusement sa tunique en lin, à peine serré par une ceinture de la même matière, mais brodée de bleu fané. Décidément ce vêtement avait trop traîné dans la poussière…
Alors qu’il achevait sa tâche, en songeant à l’heure à laquelle il pourrait bien se rendormir, il remarqua sans émotion que le bourdonnement lancinant de ses amis coléoptères et autres joyeux compagnons s’était intensifié, pour avoir des airs de tonnerre plus qu’étouffé, comme quand on écoute l’orage la tête dans un gros coussin. Tout de même un peu interloqué par ce changement de fréquence le paysan releva son visage tanné, et creusé d’innombrables sillons, qui par leur seule profondeur laissaient penser à la carte d’un delta particulièrement large. Outre ces crevasses aux profondeurs hadales le soleil sublimait une moustache parfaitement blanche, qui évoluait sous un nez graveleux, sûrement lointain cousin d’un cornichon. Bref.
Il vit une colonne de poussière ocre s’étirer au loin, son origine n’était autre qu’une foultitude de minuscules petits cavaliers rutilants. A en juger par leurs émanations telluriques aussi bien que sonores Errepèce estima leur nombre compris dans une fourchette de un à deux milliers de bonshommes. Ce qui, il l’avait bien deviné, en soit n’était pas une vraie armée, mais une avant-garde. Les rumeurs parlaient de centaines de milliers de soldats, alors il fallait bien que les autres arrivent un jour… En conclusion il lâcha un reniflement d’approbation et se rassit sous son olivier. Il fallait toujours approuver ce que l’on ne pouvait pas vraiment approuver, au risque de se retrouver pendu par les pieds avant d’avoir put dire foutredieu.
Pendant ce temps, non loin de là, à la tête d’une foultitude de minuscules petits cavaliers rutilants, le comte de Sylce bombait le torse sous sa cuirasse. Ce jeune coq, ou jeune auquel on accole l’adjectif coq, avec une consonne muée en une autre, héritier d’un minuscule territoire aux alentours de Bullridge s’était vu offrir le commandement d’une importante tête de pont, constituée de belles troupes en uniforme. Plus rompu aux pas de danse dans les salles d’Uru’Baen qu’aux décapitations fortuites il avait obtenu ce grade plus par un large réseau de relations que par un large talent de guerrier. Mais cela ne l’empêchait pas d’être très content, et d’avoir très chaud. Dans le Nord le climat était plus doux et agréable. Un sourire fat aux lèvres, il s’essuya le visage avec un petit mouchoir à dentelles noirci de crasse et imbibé de sueur. Son large feutre à plume l’étouffait plus qu’autre chose, comme toute sa mise d’ailleurs. Ses épais vêtements filés de dorures sous sa cuirasse frappée par le soleil, et ses jambières serrées plus qu’il ne le fallait autour de ses mollets musclés de hobereau sportif, et son trop lourd pantalon contribuaient à le faire suer abondamment. Mais il était tout de même content quand il tâtait l’écharpe rouge nouée à sa taille, qui signifiait son allégeance à la Ligue. Et il était plus euphorique encore quand il lui arrivait de se souvenir qu’il était à la tête de un escadrons de dragons, et de deux de lanciers lourds. Ce qui mettait tout de même sous sa responsabilité pas loin de mille cinq cent hommes. Sans compter le fait qu’en plus de cela sa mission était primordiale.
Il Lui fallait ouvrir une habile brèche au sud-Est de la région, non loin d’une large étendues de parcelles cultivées, située entre la voie d’Aberon, quelques collines et un cours d’eau, plus au Sud Cithri était à une cinquantaine de lieues au Nord-Ouest de là. Par cette astucieuse manœuvre il permettrait à une plus grosse armée de passer ensuite. Et en quelques lumineuses réflexions il avait découvert le pourquoi du comment de ce mouvement. En effet les indépendantistes se rueraient sûrement sur Cithri, et se placeraient face aux plaines ondoyantes. Alors qu’en fait leurs ennemis longeraient la route d’Aberon pour les écraser.
C’était vraiment très habile, et le comte l’avait parfaitement compris. Il n’aurait pas le droit à l’erreur lors de son action. Et ainsi il se couvrirait de fleurs, et il serait même enterré d’essence colorées, si bien qu’il en étoufferait de plaisir.
Après quelques jours en attente du gros de l'armée, le comte reçut une missive par pigeon voyageur armé (comprenez par là que l'oiseau voit ses petites pattes équipées de griffes metalliques, pour se défendre contre les plus gros oiseaux, même si ce n'est aps très efficace) qui lui donna l'ordre de rejoindre la première colonne au Nord. Il fut légérement interloqué par cette nouvelle soudaine, qui le perturbait au plus haut point. Mais mit en marche ses troupes, hagard. Il n'avait put se couvrir de gloire par sa tête de pont héroïque, alors il lui faudrait demander un autre commandement, si possible affecté à une immense bataille. . .