Kahaniel dormait à poings fermés, à quelques pas d'elle. Elle ne souhaitait pas s'approcher de lui tout de suite. Peut-être le ferait-elle après, la journée avait été mouvementée. Mais pour l'instant, un peu de sommeil lui ferait du bien. Elle ne fut pas surprise, en fermant les yeux, qu'elle se sente emporter par son rêve...


**Début du flashback, à travers le rêve**


Dras-Leona, tel était le nom de la ville. Devenue cité des Premiers Hommes, elle gardait néanmoins les stigmates de l'invasion : mendiants en nombre dans les rues, femmes vendant leurs corps, prisonniers de guerre défilant enchaînés, patrouilles régulières de la soldatesque. Et surtout, ce qui marquait plus matériellement le passage de la guerre, c'était la destruction sur les bâtiments. Des maisons effondrées, des échafaudages, voir parfois des traces de sang sur les pavés et les murs. On aurait pu croire qu'après trois mois, il y aurait eu un retour à la normale. Mais même pas. On s'est battu ici, Raydrik et moi. Cette ruelle là. Mais il n'y avait pas de mendiants à l'époque. Il n'y avait que des êtres étranges, vils. Des gens que l'on se devait de tuer.

Passer là ne lui procura aucune véritable sensation, et elle put atteindre sa destination sans ennuis. Le bâtiment en question était une ancienne tour, attachée aux remparts intérieurs de la ville. L'ancienne cathédrale – un gros édifice religion, de ce qu'elle avait compris – elle-même était en ruines, à côté. Mais pourtant, la tour elle-même avait un pan effondré sur les murailles elles-même. Mais au final, peu importait. Elle ne venait pas ici pour ça. Serah venait ici car elle avait reçu des ordres. En entrant dans la tour, elle sentit les dernières marques du soleil lui réchauffer la nuque, puis elle fut engloutie par la fraîcheur du bâtiment de pierre.

Ici, on se trouvait dans un quartier général, même s'il était provisoire. Plusieurs personnes étaient déjà dans la pièce principale, écoutant les directives d'un individu vêtu de robes amples. De toute évidence, vu la carte de la cité étalée sur la grande table, la réunion avait commencé. Son entrée n'en fut que plus remarquée, du coup.

 « Mes excuses, pour le retard. Continuez, je vous prie. »

Elle se plaça quelque part parmi le groupe, et essaya de suivre le fil de la conversation. Elle savait qu'il était question d'un individu suspect, signalé dans les limites sud de la cité, qui continuait d'exercer sa magie impie et de créer des problèmes. Serah avait été appelée pour faire parti du groupe chargé de s'occuper de lui. Et elle savait qu'elle en tirerait un bon plaisir.

Elle glissa un regard vers celui qui lui parlait. Qu'entendait-il par-là ? Qu'elle n'échapperait pas à une remarque ? Possible, cela dit, vu qu'elle était arrivée en retard, et sans gêne. D'un autre côté, inutile de se sentir de trop ici : ils étaient peu nombreux, mais tous étaient concentrés sur la même chose. A vrai dire, l'individu en robes ne semblait pas beaucoup se préoccuper d'elle pour l'instant. Serah haussa donc les épaules à l'intention de l'autre, et elle se mit à écouter aussi de quoi il retournait.

Elle avait l'impression que le schéma se répétait encore. Depuis la conquête, nombre d'impies n'osaient plus se montrer au grand jour, disparaissant dans tous les recoins qu'ils pouvaient trouver afin d'échapper aux Premiers Hommes. Mais ici, à Dras-Leona, il y avait toujours un ou plusieurs individus qui, chaque semaine, ne pouvaient s'empêcher de faire des leurs, créant des problèmes à travers la cité, empêchant les soldats de faire respecter l'ordre public. Celui-ci n'était sans doute pas différent : un elfe, ou une autre de ces étranges créatures, qui usait de sa magie pour semer le trouble et attaquer les Premiers Hommes et tous ceux qui les aidaient. La population locale, en somme. Les humains, ces cousins inférieurs et pourtant pas si différents. Du moins, dans leur comportement.

Les méthodes utilisées pour le débusquer auparavant avaient été classiques : attaque en force de nuit, puis une tentative de le coincer en pleine journée dans une ruelle. Cette fois, il allait s'agir d'une troisième option, qui ne pouvait que fonctionner d'après l'homme en robes. Ils allaient approcher discrètement, faire en sorte qu'on ne les prenne que pour une patrouille standard, puis attendre le signal pour fondre sur la maison où il était reclus. Ce plan avait des chances de fonctionner, mais il avait aussi des chances d'échouer. En particulier s'il n'y avait pas assez de discrétion, ou si l'individu avait des alliés pour lui signaler la présence d'ennemis.

 « Vous êtes six, et donc vous allez répartis en binômes. Serah et Korann. Tifel et Tormund. Ekart et Garik. Korann, tu as le commandement. Revenez ici avec l'impie. Vivant si possible, cette fois. »

Les Premiers Hommes n'eurent que des sourires crispés. Il était très rare d'en rapporter un vivant. Mais ça valait le coup d'essayer, encore une fois. Serah se tourna vers le dénommé Korann, qui visiblement était donc le chef maintenant.

 « Eh bien, on dirait qu'on doit travailler ensemble, chef. »

Serah fronça les sourcils, persuadée d'avoir mal entendu. Il préconisait un choix d'armes assez étrange, qui n'allait pas leur permettre de se battre au maximum de leurs capacités. Cela se voyait rien qu'aux expressions perplexes de certains, y compris de l'homme en robes. Elle-même voyait un inconvénient à se battre sans son épée, et par conséquence sans son bouclier. Mais soit, elle obéirait. Ainsi, elle déposa l'épée et le bouclier, prit deux dagues (une en remplacement de l'autre si besoin) et une arbalète légère. Ces armes redoutables pouvaient tirer à deux reprises, ou les deux carreaux en même temps. Elles avaient largement fait leurs preuves, durant la Conquête. Mais dans un espace confiné... Elle préféra ne rien dire. On ne savait jamais.

Leur chef, Korann, était à côté d'elle. Il était étrange, pour un Premier Homme, d'être de la taille de Serah. Mais en voyait qu'il était légèrement plus petit, elle retint un sourire narquois. Les hommes avaient toujours plus de carrure et de taille que les femmes, que ce soit chez eux ou chez les humains, et cela donnait lieu à des taquineries lorsqu'il y avait ce genre d'exception. Cela s'arrêtait là, néanmoins, étant donné la parfaite égalité de leurs sexes dans la société qu'ils avaient. Encore une chose que les humains ont perdu, par rapport à nous.

Elle releva la tête, alors qu'elle passait un petit carquois pour l'arbalète à sa ceinture. Combien de chasse ? Elle haussa les épaules, avant de le regarder dans les yeux pour lui répondre. Toujours fixer son interlocuteur. Mais ne jamais détacher son regard de l'environnement.

 « Un certain nombre, je dirais. Je n'ai pas vraiment compté. Et vous ? Un beau palmarès ? »

Une façon comme une autre de dissiper les doutes des autres. Feindre de ne pas savoir, et s'intéresser à l'autre personne, et ils cessaient – dans la majorité des cas – de chercher à en savoir trop sur vous. Non pas que Serah soit timide, et qu'elle voulait cacher des choses. Mais elle était d'une nature prudente, et elle souhaitait pas qu'on en sache trop sur elle. Ce gars n'était pas son ami, c'était son supérieur pour cette mission / tâche.

Elle observa Korann, méfiante. Essayait-il de la tester, ou cherchait-il simplement à faire la conversation, de façon maladroite ? Elle n'aurait su pencher pour l'une ou l'autre hypothèse. Il parlait pour ne pas dire grand chose, au final, mais sa question restait tout de même pertinente. Il avait été placé à la tête de cette tâche, mais un peu par défaut. Parce qu'il était vétéran, sûrement, et parce qu'il connaissait mieux la cible, également. De ce qu'il en disait, il n'en était pas à sa première fois en ce qui concernait les chasses aux mages, y compris celui-ci. Au final, sa conclusion aurait été qu'il cherchait à l'impressionner, pour qu'elle reste sous ses ordres, docilement. Mais elle n'avait jamais été particulièrement désobéissante.

Elle se contenta de hausser les épaules, feignant un avis moins tranché qu'elle ne le pensait. Car, si on lui avait laissé le choix, elle aurait fait boucler le quartier, passant au peigne fin tous les bâtiments, interrogeant tout le monde jusqu'à ce qu'on trouve l'individu. Et là, elle lui aurait rentré dedans, façon charge de cavalier. Mais elle ne pouvait pas vraiment le lui dire, ça ne ferait que déstabiliser la mission. Ou pire, il pourrait penser que c'était une tête brûlée, et elle se retrouverait mise à l'écart.

 « Je sais pas. Il est déterminé à nous échapper, en tout cas, donc je pense qu'il est constamment sur ses gardes. Il a possiblement des yeux et des oreilles quelque part autour de lui. Mais si on suit le plan, pas de raison que ça foire, non ? »

Ce n'était pas forcément la meilleure réponse, mais elle espérait que ça le satisferait. Elle n'avait pas trop de mal à voir qu'il avait soif de combat, comme tout le monde, qu'il préférait ça plutôt que de la jouer fine. Pour Serah, c'était pareil, à ceci près qu'elle n'était pas foncièrement opposée à l'idée d'attaquer en toute discrétion. La force brute avait ses avantages, mais la patience également. En attaquant par surprise, ils avaient une chance de réussir. Mais encore fallait-il trouver un moyen d'y parvenir. Ce qui semblait être difficile, au vu des dernières tentatives.

 « Nous devrions y aller, avant d'être en retard. »

A peine arrivée devant la maison de la cible, Serah savait qu'il y avait un grave problème. Premièrement, ils n'avaient croisé quasiment personne aux alentours des lieux, que ce soit dans la rue ou même dans les autres habitations. D'ordinaire, les gens observaient discrètement, ou ouvertement, les arrivants. Ils s'en méfiaient, ou se doutaient de ce qui allait arriver. Ou alors, ils étaient tout simplement de mèche, et donc s'étaient absenté en attendant que l'attaque passe. Toutes ces hypothèses en tête, Serah avança un pied, les dagues à la main, prête à bondir s'il y avait un piège. La porte d'entrée était à moins d'un mètre d'elle.

Korann restait derrière. Surprenant. Il préférait essayer de la couvrir, hein ? Ou plutôt, il profitait de son rôle de chef pour envoyer les autres à l'attaque, en premier. Où mettrais-je le piège, si j'étais là, acculée? Elle examina la porte. Elle était en bois, tout simplement, et il lui était donc impossible de résister à un gros coup. Elle semblait verrouillée... Oui, là, le loquet. Rouillé, et donc moins solide. Un bon coup suffirait non seulement à détruire la porte, mais aussi à ouvrir le passage. Mais alors, le piège devait se trouver autour. Ne voyant rien, Serah prit un petit temps pour respirer calmement, puis donner un coup sec, du pied, au niveau de la poignée.

La porte s'ouvrit, ou plus exactement elle vola en éclat. La force du coup la fit s'éjecter sur un bon mètre, des éclats de bois voletant tout autour. Aucun piège activé, ce qui était bon signe. Maintenant, s'il y en avait un, il serait au moment de franchir l'ouverture, ou un peu plus en avant. A moins qu'elle n'ait aussi fait sauté le mécanisme ? Elle n'y croyait pas trop, par souci de paranoïa, mais on ne savait jamais. S'ils avaient de la chance...

Il n'en avait pas, malheureusement. A peine eut-elle posé le pied à travers l'ouverture qu'elle dut faire un bond en arrière, se heurtant à Korann. Une dague siffla, éjectée depuis la gauche vers la droite. Un coup vicieux, qui aurait pu planter la lame sournoise dans ses côtes, voir directement un poumon. Elle serait morte très rapidement, en l'absence de quelqu'un pour la soigner sur-le-champ.

 « Bon, entrons maintenant. » souffla-t-elle.

Ils avaient à peine franchi l'entrée que leur cible se manifesta. Visiblement mécontent de les voir débarquer sans avoir subi le piège, il se jeta sur eux en tendant une main et en hurlant des mots. Sachant ce qui allait suivre, Serah se jeta sur le côté, esquivant de justesse un éclair bleuté. Pas passé loin, celui-là. Mais maintenant, on va lui tomber dessus.