Parfois, comme lorsqu'il traversait un long couloir calme à la pale lueur d'une bougie, Eisen se demandait comment il pouvait apprécier cette vie d’errance. Soyons clair, il aimait sa liberté plus que tout et il ne l'aurait échangé contre aucun palais du monde. Mais il lui arrivait cependant de songer à s'installer, à profiter du confort d'un foyer plutôt que de courir les rues et les forêts, que de fuir en permanence. Il faisait bon d'avoir tout les soirs un lit douillet où se reposer, plutôt que la terre battue et les aiguilles de pins. De savoir qu'un toit nous protégeait d'une pluie soudaine, que le vent ne nous enverrais rien au visage, qu'aucune bestiole ne viendrait nous grignoter le nez pendant notre sommeil. Il faisait bon de se sentir en sécurité, de ne pas avoir à craindre une lame entre les omoplate ou l'attaque de quelque bête sauvage, de ne jamais redouter de manquer de nourriture, de ne pas s'inquiéter de la couleur de l'eau ou de toute ces maladies qui traînait dans l'air. Il faisait bon de n'avoir aucune poche à vider pour s'assurer un lendemain, aucun garde à éviter pour garder ses mains.
Il faisait bon d'avoir un chez soi.

Eisen atteint le bout du couloir et posa sa bougie sur une table de la cuisine. Elle était faite de bois solide. Un meuble coûteux qu'un vagabond comme lui n'aurait jamais. Pour autant, pour une fois, il ne la regarda pas avec dédain. Pas comme celles des maisons de riches qu'il avait pu visiter au cours d'une nuit, d'une escapade. Il commençait à s'y faire à cette table. Elle avait une entaille en arc de cercle. Un couteau ayant dérapé sans doute. Il s'était souvent demandé comment cela était arrivé et il se le demanda encore lorsqu'il s'y assit avec une miche de pain et un peu de fromage.
Cet endroit se rapprochait de plus en plus d'un foyer et il devait bien avouer que cela ne lui déplaisait pas. C'était un lieu relaxant ou il n'y avait pas grand chose à craindre. Rien qu'il ne puisse aisément éviter. Il avait cru au début que son passage y serait très court, mais à présent, il ne redoutait guère un départ précipité. Il se voyait bien y vivre encore quelques temps... Quelques années, même, si c'était possible.

"Papa! Papa!"

Marek grommela dans son sommeil. La voix fluette de son fils était lointaine. Le petit insista, secouant légèrement son imposant paternel.

"Morgan, répondit Marek d'une voix faible. Va te recoucher...
- Mais Papa y'a quelqu'un dans la cuisine! Son père se retourna dans le lit, vers Leyra, et lui tourna le dos.
- Oui, ça s'appelle des cuisiniers. Maintenant va te coucher…
- Mais non c'est un des cuisiniers! C'est un monsieur tout en noir!
- Ouais ouais... Si Nielas l'a laissé rentrer c'est pas une menace de toute façon... C'est sûrement Nicko qui a une fringale nocturne, va te recoucher maintenant."

Marek s'était presque complètement réveiller maintenant, et s'était retourner pour fixer son fils de ses yeux de lune. Le regard bleu clair de Morgan soutint celui de son père, qui y lu une réelle peur. Marek posa la main sur la tempe de son fils, afin de capter ses pensées. Il vit l'image qu'avait son fils de l'étranger, et se redressa d'un bond. Le petit avait raison, ce n'était pas normal.
Derrière lui, Leyra se réveilla doucement, se demandant ce qui se passait. Marek déposa un baiser sur son front, lui intimant de se rendormir, enfila une chemise -il avait garder son pantalon pour dormir, et se tourna vers Morgan.

"Tiens moi la main, ferme les yeux, je nous y téléporte."

Il y eut une légère lueur rouge, et le père et son fils disparurent.



La cuisine s'illumina soudainement, et Marek apparut, son fils derrière lui. Il avait une boule de feu couleur rubis dans la main en guise de torche. L'inconnu se retourna, et Marek hoqueta de surprise.

"Eisen?
- Tu le connais papa?
- On peut dire ça oui..."

D'un geste de la main, Marek envoya la boule de feu dans l'âtre de la cheminée. Le bois entreposé là en prévision du service matinale s'embrasa, et la pièce fut illuminé d'une douce lueur couleur rubis. Le Gardien du Feu croisa les bras, attendant les explications du voleur. Son regard était plus surpris que mécontent, même si l'éclairage rouge de la cheminée lui donnait un air menaçant... Derrière lui, le petit Morgan observait tour à tour son père et le dénommé Eisen, la mine curieuse.

Il y a des mots qui sont intimement lié à des sensation. Des réactions qui se produisent sans faille à chaque fois qu'un chose précise survient. Mais là où le réflexe est inné, il s'agit ici de quelques choses d'ancrer dans l'expérience. Comme l'enfant qui soupire au son des bancs d'écoles, l'homme qui sourit quand on ouvre une bouteille de vin. Eisen lui, lâchait des jurons lorsqu'il voyait la lueur des flammes. Quoique celui ci fut parfaitement silencieux puisqu'il avait la bouche pleine. Il déglutit rapidement et se retourna, sans marquer la moindre surprise devant ce qu'il découvrit. Parce qu'il s'y attendait, naturellement. Il fallait bien que cela arrive un jour, et chaque jour passant, sa méfiance se relâchant, le risque augmentait. Quoiqu'il en soit, si lui ne fut guère étonné, ce ne fut pas le cas de l'homme qui lui faisait face.

Son mioche collait dans les pattes, Marek le regardait avec une stupeur à peine dissimulé. Pas que cela le rendit moins impressionnant cependant, d'autant qu'il se reprit vite et en profita pour réchauffer l'atmosphère. Le voleur jeta un œil au feu, toujours aussi circonspect devant cette magie. Puis il posa les yeux sur le mage-guerrier-esprit-truc qui n'avait encore rien dit – du moins pas lui – et sourit.

« Ta cuisine manque de petit gibier à mon goût, mais les chaises sont confortables. »
Et il valait mieux car il était certain qu'il risquait de devoir passer un certain temps sur cette chaise – si Marek n'avait pas changé. A moins qu'il ne l'envoi promener à grand coup de flammèche ou autre téléportation. Dommage, il avait cru entendre qu'il pleuvait dehors... Mais il se pourrait tout aussi bien que la pluie soit bientôt la chose qu'il désirerait le plus au monde pour apaiser ses brûlures.
Si tout cela l'inquiétait quelques peu, il n'en montra rien.

Marek soupira. Cela aurait pu être n'importe qui, mais non. C'était bien le voleur qu'il avait traumatisé avant de recruter. C'était bien ce même Eisen qu'il avait cloué sur une chaise dans une taverne et interrogé avec Akkan, avant de littéralement le balancer de Faeryl au milieu d'une bataille perdue d'avance. Ce même Eisen dont, comme le reste du Cam Serarna, il n'avait plus eu de nouvelles depuis plusieurs mois.
Et il était là, dans sa cuisine, à piocher dans le garde manger depuis les dieux ne savent quand.

"Morgan. Retourne te coucher s'il te plaît.
- Mais papa...
- Pas de mais! gronda Marek. Eisen et moi devons discuter entre grandes personnes. Tu n'as plus rien à craindre à présent, alors va dormir avant que je ne demande à Moroes de te raccompagner.
- Oui papa..."

Le garçon avait un air déçu, mais la menace d'appeler le majordome, dont l'attitude taciturne et le visage émacié avait tendance à effrayer les enfants, avait fait son effet. Marek suivit la trace magique de son fils un moment et, quand il fut sûr qu'il soit bien parti, décroisa les bras. Il tira une chaise, s'assit, posa les coudes sur la table en joignant ses mains et fixa Eisen du regard. Il resta silencieux quelques secondes puis soupira.

"J'en conclue que Nielas t'as rajouté à la liste blanche des personnes pouvant rentrer ici sans me prévenir... Ce doit être ton intégration, quoi qu'à moitié officielle, au Cam Serarna. Bref. Depuis combien de temps tu squattes mon manoir, alors qu'il aurait suffit de me demander une chambre?"

Vu le nombre de personnes qui vivaient ici, une de plus ou une de moins... Marek lâcha un juron muet à l'intention de Nielas, qui aurait pu le prévenir -le mage savait sûrement qu'Eisen était dans le manoir, et il eut la certitude d'entendre, dans un coin reculé de son esprit, le rire si rare du gardien du manoir.

C'est avec un sourire amusé que le voleur regarda le grand et flamboyant Marek renvoyer son gosse au lit en bon petit père de famille. Puis il se fit la réflexion qu'une fois les yeux du gosse ailleurs, il n'y aurait plus rien qui retiendrait le pyromane de lui mettre le feu. Son sourire disparut. Il revint cependant, beaucoup moins narquois et avec une pointe de sincérité quand le propriétaire des lieux se mit à parler. Manifestement, il n'avait pas envie de le transformer en torche humaine tout de suite, c'était une relativement bonne nouvelle. Il laissait même presque entendre que le voleur pouvait être le bienvenue dans sa demeure. Par contre, la partie sur son « intégration » lui fit lever un sourcil. Il rétorqua :

« Demander une chambre, c'est te devoir une faveur. Si je prends quelques choses sans que tu le saches, je ne te dois rien. »
Logique de chapardeur-squatteur qui l'arrangeait bien. Mais ce n'était pas tout à fait faux, Eisen détestait avoir des dettes. Surtout envers des personnes honnêtes, c'étaient les plus dur à trahir derrière. Quand on ne devait rien à personne, on était libre. Et si pour cela, il fallait prendre les choses sans autorisation... C'était un moindre mal.

« Mais... deux choses. Nielas, c'est le type louche qui m'a repéré en moins de trente secondes, c'est ça ? D'accord. Par contre, je ne me rappelle pas avoir signé pour rejoindre quelques groupuscules que ce soit. »
D'accord, il avait participé à une bataille en se demandant ce qu'il y faisait, mais... ça s’arrêtait là. Leur petites guerres, ils pouvaient se les garder. Hors de question qu'il se retrouve impliquer la dedans, quand bien même il s'appropriait la maison d'un de leur chef.

La logique d'Eisen était imparable en apparence. Il écouta ce que le voleur disait, en notant dans sa tête que Nielas, après plus de 1000 ans, semblait donner des signes de faiblesse. Trente secondes? C'était vingt-huit de plus qu'il n'en fallait pour détecter quelqu'un, si on compte le temps nécessaire à la téléportation sur place.
"En vérité, tu me dois quand même toute la nourriture que tu as ingurgité depuis que tu es là. Et moi qui croyait que Siana piquait de la nourriture en cachette..."

Marek se promit intérieurement de s'excuser auprès de sa fille demain matin. Il ne l'avait jamais punit pour ça, juste sévèrement grondé, et se sentait un peu bête du coup.

"Quant à ton intégration... En effet, tu n'as rien signé, maintenant que j'y pense. Mais tu as participé à une bataille avec nous, ça doit compter. Marek haussa les épaules. La magie et ses mystères! De toute façon, le Cam Serarna ne sert plus à grand chose à présent. Celui qui devait être ton supérieur a disparut, je n'ai toujours pas retrouvé la mère d'un des gosses qui vit ici, et le seul autre membre que je connaisse et que j'ai croisé... s'amuser avec des feux d'artifices la dernière fois que je l'ai vu."

C'était le cycle des clans qu'intégrait Marek. Le Du Vanyali Ebrithil, le Du Mor'ranr Knifr, le Cam Serarna... Tous avaient finis par disparaître, plus ou moins violemment. Et lui... lui était toujours là.

"Enfin bref. Il y a plusieurs chambres de libre dans le manoir, fait ton choix, si je ne sais pas laquelle tu as choisi, tu ne me dois rien non? Sauf la nourriture. Tu comptes rester là toute la vie ou tu as des plans pour l'avenir? Promis, je ne t'embarquerais pas à nouveau dans une bataille perdue d'avance!"

Eisen haussa un sourcil et arracha un morceau de son repas nocturne. Il le mâchonna doucement en secouant la tête devant la réponse de Marek. Il n'était pas d'accord et il ne tarda pas à le faire savoir.

« C'est la même chose que le logis, je t'ai rien demandé, je ne te dois rien, t'avais qu'à surveiller ta bouffe. Mais de toute façon, pour m'avoir jeté du haut d'un aigle droit dans une marée de cauchemars, je crois que tu me dois plus qu'une miche de pain et trois bouts de fromage. »
On était loin du compte sur ce qu'il avait pu consommer, mais l'idée était là. Le reste de son discours semblait être un beau bordel. Même en admettant qu'il se soit trouvé une soudaine fibre patrioto-héroïque, le voleur aurait sans doute opté pour un groupe moins... plus … conscient de ce qui pouvait bien arriver à ces membres ? Même les voleurs savaient ce qui se passaient quand l'un des leur disparaissaient. C'était évident lorsqu'on les retrouvait la gueule dans leur propre sang.
Eisen poussa un soupir en croisant le regard du propriétaire des lieux.

« Tu y tiens à ta nourriture, Flammèche ? Très bien, j'irais te chasser du gibier si tu me promets de ne pas fermer la porte. » Parce que pour être tout à fait honnête, il n'avait aucune envie de se taper une deuxième fois l'escalade avec le vent qui soufflait par ici. « Du reste, non, je ne compte pas y faire ma vie. Mais je sens bien que je vais te manquer si je pars tout de suite. »
Un sourire narquois aux lèvres, il haussa les épaules avec désinvolture et se prépara à esquiver.

Marek hocha la tête. Eisen avait raison, leur dernière rencontre avait été mouvementée. Il se revoyait jeter le pauvre voleur du haut de Faeryll et le jeter sur une abomination corrompue sans ménagement. Oui, il lui devait bien ça, en effet.

Il sourit à la proposition de chasse d'Eisen. Le gibier ne manquait pas dans le coin et si quelqu'un d'autre pouvait le chasser... tant mieux.

Sa dernière phrase lui arracha un petit rire. Il tendit sa main, et un serpent de feu rouge rubis en sortit pour s'enrouler autour d'Eisen. Le feu ne le brûlerait pas, et même si la chaleur était faible, elle restait dérangeante. La tête du serpent vint se placer à quelques centimètres du visage du voleur et le fixa comme pour l'hypnotiser.


"Flammèche dis-tu? Tu sais que mes hommes m'appelaient Du Vollar Andlàt, La Mort Brulante? Et ne t'en fait pas pour la porte, elle sera...

- Toujours ouverte!" fit une voix avec une fort accent de l'est.


Marek sursauta, et le serpent disparut brutalement. A côté de lui, dans un éclair de lumière bleutée, un vieil homme en robe de mage apparut, son bâton à la main. Il avait l'air d'avoir la soixantaine, une barbe bien taillé grisonnante lui encadrant la mâchoire. Pour l’œil averti, il était très légèrement... transparent.

Marek soupira, et porta la main sur son cœur.


"Nielas, merci de ne plus me faire des peurs comme ça...

- Pardon, mais c'était trop tentant. Le vieux mage surprit Marek en souriant, chose qu'il faisait très rarement.

- Eisen, je ne te présente pas Nielas, si j'ai bien compris tu l'as déjà rencontré... Ça vous arrive souvent de laisser passer les gens sans me le dire vous?

- Bah. Il ne représentait pas un danger. J'étais intrigué que le bouclier de protection ovine ne se soit pas déclenché cependant."


Marek se tourna vers Eisen.


"Avec tout ça, on n'a jamais vraiment discuter d'ailleurs. D'où viens-tu?"


Nielas restait debout, impassible, à côté de Marek. Cela devait être dérangeant pour le voleur, mais le Gardien du Feu avait l'habitude à présent, aussi prit-il soin d'ignorer le gardien du manoir.

A la réflexion, il détestait ce type. Être aussi péteux et puissant, ce n'était décidément pas un bon combo. Cachant du mieux qu'il pouvait son malaise, Eisen fixa le serpent avec un dégoûts mêlé d'intérêt. Ce truc aurait du lui cramer la main mais il lui tenait juste – très – chaud. Ce type aurait fait un malheur auprès des sans abri... Une flamme qui ne brûle pas... Enfin, pour le coup, ça confirmait son surnom de flammèche.
Il leva un sourcil à sa réplique et s'apprêta à lui rétorquer qu'il avait bien connu un type qu'on appelait « le silence absolu » parce qu'il était muet et sourd comme un pot, mais l'apparition soudaine du concierge coupa court à la discussion. Le voleur ne cacha même pas son ricanement en voyant Marek sursauter. C'était là une vue relativement rare, il en était certain. Il les laissa leur amusant échange jusqu'à ce que les propos de Niealas ne lui fasse lever un sourcil. Comment ça, pas un danger ? Il espérait que cela fasse plus références à ses intentions qu'à ses compétences, car s'il était loin d'arriver à la cheville de Marek, les gosses, eux, n'auraient pas été affaire très difficile. Quoique.


« Je pourrais presque me vexer. » Il secoua la tête comme pour chasser la question qui suivit.
« D'un peu partout. Je vagabonde. » Evasif. Ce n'était pas tant de devoir balancer qu'il sortait de la chatte d'un prostitué – ça, il s'en moquait au plus haut point – mais évoquer une vie dans une mansarde poisseuse, dans ce manoir, alors même qu'elle n'avait plus guère d'importance... Non. Le voyage lui collait mieux.


« Et toi, comment tu es devenu... ça. »
Il y avait de quoi se poser la question. Il n'était tout de même pas né au creux d'un volcan, si ?

Alors même que Nielas restait droit comme une statue derrière, Marek haussa les épaules avant de répondre.

"Oh, la routine. Mes parents ont été tués, j'ai tué mes grands-parents puis le type qui a tué mes parents, errer sans but un moment avant d'être pris comme apprenti par une dragonnière, pris sa place à la tête de son clan, et depuis je dirige des hommes. J'ai hérité de ce manoir, construit par Nielas ci-présent, épousé ma femme et maintenant j'élève mes enfants loin de cette guerre."

Il avait passé sous silence de nombreux détails. Son passé d'Ombre, de Dragonnier, le fait qu'il ait dirigé directement ou indirectement trois clans différents, abdiqué de l'un deux, fait ami-amie avec la dirigeante de ce qui était autrefois le Saint Empire Léonien aujourd'hui déchu,... Sa vie, bien que courte, avait été bien rempli. Des hauts, des bas, de la pauvreté à la richesse, de quoi faire un roman complet qu'il avait la fainéantise de narrer.

"Quant à mon statut de Gardien du Feu... Vieille légende drow qui s'est avérée être vraie. Je suis totalement ignifugé et ma température corporelle est plus élevé que la moyenne. Je suis juste sans nouvelles des autres Gardiens, ce qui est bien dommage."

Il se considérait chanceux. Les effets secondaires du Rubis n'étaient pas les pires. Le Gardien de la Terre avait son poids augmenté drastiquement quand ses os étaient devenu diamant. La température corporelle de la Gardienne de l'Eau avait chuté, la rendant froide comme un cadavre. Et on ne pouvait plus serrer la main du Gardien du Vent sans se prendre un coup de jus. Et devait-on parler du cas de Myad, qui par un concours de circonstance était Gardienne Absolue, cumulant Vie et Mort dans un seul corps qui, à chaque fois qu'elle s'énervait, menaçait de détruire un village entier avant de changer son apparence, la rendant soit brune aux yeux rouges, soit blonde aux yeux verts? Non, lui était chanceux. Leyra aussi, d'avoir une bouillotte au lit. Sauf en été...

"La vie de vagabond... fit-il doucement, le regard dans le vague. Nielas avait disparu et il ne s'en était même pas rendu compte. Je ne peux pas dire que ça me manque, c'était il y a longtemps et... je n'étais pas vraiment moi-même. Ne préférerais-tu pas une vie rangée? Sans risques? Ou tu es de ceux qui aime le danger et l'aventure?"

Il était comme ça avant. Puis il avait prit une flèche dans le genou, comme disent les Premiers Hommes.
Dehors, les oiseaux commençaient à s'éveiller. La vie allait bientôt reprendre son cours dans le manoir endormi...

L'histoire oh combien triste et choquante de Marek arracha à peine un sourire narquois au voleur. Soyons honnête, des histoires de meurtres en famille et autre destin tragiques, on en retrouvait plein dans la rues. Même s'il devait admettre que celle-ci avait bien une touche de noblesse : la plupart des rats des rues n'avaient pas le luxe d'avoir connu leur grand parent. Quand au reste... Il avait eut de la chance. Il suffisait de voir ce manoir, sa joyeuse petite famille, sa puissance, sa position,... bref, sa vie, pour savoir qu'il s'en était bien sortit. Ce n'était pas le voleur avec sa miche de pain et son fromage dérobé qui allait le prendre en pitié.

Eisen tiqua bien plus sur la suite. Non pas la légende Drow et autre conte du soir, ni même le fait qu'il était encore plus flippant qu'il ne le croyait jusque là, mais...

« Attends, des autres gardiens ? Tu veux dire qu'il y d'autre... truc comme toi ?! »
Il était passé à deux doigts d'utiliser le mot monstre. Parce que c'était un peu ce que lui évoquait une telle puissance. Le voleur se passa la main sur le visage. Dans quoi s'était il encore embarqué ? Parfois, il regrettait d'avoir vu le jour dans ce monde ci. Il releva la tête avec un soupir. Le majordome était repartit comme il était venu, Eisen ne s'en soucia pas plus que ça. Il avait eut l'occasion de s'y habituer depuis son arrivée. Il s'était sentit surveiller très ardemment et l'avait vu surgir de plus d'un tournant les premiers jours. Puis cela avait diminué avec le temps. Au fond, ce n'était pas bien différent que cette manie qu'avaient les voleurs – dont lui même – de sortir en toute discrétion d'endroit les plus surprenant.

Les questions du Gardien faillirent le faire éclater de rire. C'était bien une remarque de noble, ça ! Il afficha un grand sourire mauvais.

« Et quelle vie ? Au service d'un roi qui m'enverrait porter ses armes ? C'est sûr que ce serait moins risqué ! A cultiver un champ pour trois pièces et à crever la dalle et la fatigue le soir venu ? A protéger mes choux contre les troupes qui pillent les terres, les bandits qui se servent sur les restes ? Une vie rangée... Soit c'est une vie de merde soit... il faudrait être toi. Riche, puissant... et aveugle. »
Sérieusement, il le voyait, lui, dans un champs ? Au comptoir d'un magasin ? Avec son œil, il ne pouvait même pas prétendre à un bordel. Non pas que l'idée lui ait sérieusement traversé l'esprit. Mais il était amer, très amer devant le monde merveilleux qui semblait exister dans l'esprit de ceux qui n'avait à craindre que l'absence de vin pour la fête du lendemain.

Marek eut un petit rire. A vrai dire, il ne s'était pas attendu à une autre réponse que celle-ci, bien qu'elle fut un peu plus vindicative qu'escomptée.

"C'est une vision bien trop simpliste de la vie ici que de penser que tu es sois paysan, soit soldat. Tu n'es pas soit totalement indépendant, soit totalement au service d'un roi. Je suppose que tu as déjà travailler comme mercenaire non? Regarde moi par exemple. Tu pourrais croire que je suis super riche, super puissant, au dessus de tout et tout. En vrai, cette richesse, ce n'est qu'un héritage. Ce manoir, j'y suis uniquement par commodité, et parce que c'est sûrement l'endroit le plus sécurisé du coin. Même si maintenant je doute un peu de sa sécurité, ajouta-t-il en souriant en coin. Mon "vrai" métier, c'est Chef des Armées du Cam Serarna, même si je doute de son utilité à présent. Nous étions là pour garder la paix sur le continent, et on s'est fait balayer quand les Premiers Hommes sont arrivés et on utiliser leur corruption, comme tu as pu le voir de tes propres yeux. Mais nous employons aussi un service de renseignement. Des espions, des voleurs, des gens qui ne sont pas officiellement à nos ordres, qui font ce qu'ils veulent des informations qu'ils ont, mais qu'on paie généralement suffisamment pour éviter les fuites. Et bien même ce genre de boulot je le considère comme "rangé". Pour moi, être rangé, c'est savoir pour qui tu bosses et que ça te fasse plaisir. Je n'envie pas les paysans ni les soldats. Je suis conscient de mon statut un peu spécial dans ce monde..."

Même si à présent, les cartes étaient redistribuées dans ce monde. Avait-il seulement une place dedans? Etait-il toujours "rangé"?

Derrière lui, la porte s'ouvrit et une jeune femme entra, une brune aux yeux verts, à peine plus jeune que Marek. Ce dernier eut un sourire en entendant les pas de la jeune femme s'arrêter net quand elle vit son patron et un inconnu à une table, à cette heure-ci.

"Entre Dinath, ne t'en fait pas! lança Marek qui avait reconnu l'aura de la jeune servante.
- Bon... bonjour? dit-elle toute timide.
- Eisen, voilà Dinath, une amie qui travaille ici. Dinath, voici Eisen, un... invité, en quelque sorte!"

La pétillante Dinath, jeune maman d'un petit [insérer le nom que j'ai oublié ici] avec l'aide-cuistot Nogait, se trouvait toujours désemparée devant des inconnus et elle s'inclina de manière bien plus raide qu'elle le voulait...