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Le jour & la nuit [PV Kellran]

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Myad


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Myad
Message Sujet: Le jour & la nuit [PV Kellran] | Dim 7 Oct 2012 - 21:16


« - Vous suffiront-elles, ma Dame ? Je peux vous en amener d'autres si vous le désirez.
- Cette quantité m'a l'air correcte. De toute façon, je n'ai pas le temps de vous envoyer en quêter d'autres... Soyez certain que vous serez le premier informé de mon éventuelle insatisfaction.
- Très bien, mon Altesse, comme bon vous semble. »

Deek Amfayell lança un ultime regard dans la vaste pièce, dont la voûte vertigineuse était caressée par les reflets de l'eau. On n'entendait que le clapotis musical de la fontaine proche contre laquelle se tassaient une vingtaine de jeunes filles de tous horizons, brunes chatoyantes, rousses à la peau laiteuse, blondes aux joues comme des pêches. Il n'avait aucune idée de ce que la Dame sanglante avait décidé d'en faire – elles non plus, d'ailleurs – mais il n'avait ni le droit ni l'envie de l'interroger sur ce point. S'il y a une loi tacite dans l'Empire, depuis sa venue au pouvoir, c'est que personne ne devrait aller contre les caprices de l'Impératrice. C'était dangereux, voire mortel ; c'était toujours inutile, et enfin, une fois ses bizarreries effectuées, elles avaient parfois des conséquences si étonnantes qu'on en venait à en souhaiter d'autres. Toutefois, quand la Dragonnière lui avait demandé vingt-et-une demoiselles réputées pour leur délicatesse, leurs doigts agiles et une hygiène irréprochable, il n'avait cessé de se poser des questions, tout en refusant constamment d'y proposer une quelconque réponse. Maintenant elles étaient là, enlevées à leur famille « le temps qu'elles seront utiles à sa Majesté » dans une cité qui leur était inconnue. La maîtresse des lieux capta son regard, qu'il fuit aussitôt ; il vit explicitement une étincelle narquoise faire brûler les iris de serpent.

« Vous étiez plus zélé pour prendre congé lorsque vous m'ameniez d'autres genres de viande fraîche, Amfayell, ironisa-t-elle avant de lui ouvrir la porte elle-même. Partez. Vous devez avoir beaucoup d'autres choses à faire. »

Viande fraîche. Viande fraîche ! Deek manquait s'étrangler avec ces deux simples mots alors qu'il descendait lourdement l'escalier. Il se remémora les oeillades suppliantes des adolescentes, leur détresse comme une lance dans son cœur de vieux père. L'Impératrice avait néanmoins raison, il avait énormément de travail, ce pourquoi il se traîna quand même jusqu'à son bureau.
Deux heures plus tard, cependant, il n'y tint plus : faisant voler les papiers et ignorant les commerçants qui venaient le livrer, il se précipita vers la longue pièce qui, d'ordinaire, servait de piscine à sa Seigneurie. Ce jour-là, il avait remarqué l'absence d'eau, les marches de pierre menant à un lit de marbre asséché. Et toutes ces filles collées à la fontaine glougloutant d'appétit, contre la porte de sortie... Elle n'allait tout de même pas...

Deek défonça la porte plus qu'il ne l'ouvrit, ce qui eut pour effet de déclencher un tonnerre de cris dans l'assemblée qui était déjà fort bruyante. Il lui fallut un instant pour reprendre ses esprits, alors qu'un nuage de plumes envahissait son champ de vision et qu'un rire féminin parvenait à ses oreilles.

« Savez-vous que je devrais vous crever les yeux pour votre insolence ? Dit la voix malicieuse. »

La femme au milieu de cette tornade de plumes immaculées et de duvet cotonneux était presque nue ; des filles s'affairaient autour d'elle avec des pots emplis d'une substance collante, semblable à du miel, et elles en badigeonnaient la peau grise avec un soin chirurgical. D'autres posaient des atours de colombe ou d'oie, soigneusement lavées, pour former des rosaces, des chaînes, des motifs divers partout où elles les posaient. Leurs gestes gracieux rendaient leur activité hypnotique. L'air était assourdissant des caquètements des animaux que l'on plumait vivants, avant de nettoyer le bien obtenu et d'en parer la Dame. Il restait une de ses jambes et sa poitrine ; en le remarquant, Amfayell piqua du nez aussitôt, rouge vif, tremblant presque devant cet amer constat : il n'avait pas reculé assez vite, pas baissé les yeux immédiatement, il s'était attardé sur ce corps interdit après être rentré sans invitation !
Il se morfondait ainsi lorsqu'une présence se fit sentir. La reconnaissant sans s'en réjouir, le gestionnaire leva la tête pour la regarder. L'Impératrice le toisait, légèrement plus grande que lui. Ecrasante de charisme, même ainsi parée.

« Quel dommage... Vous êtes efficace, honnête, loyal, et vous aimez votre fille. Je ne vais donc pas vous infliger un châtiment sévère comme j'eus pu le faire. En revanche, vous serez fouetté dix fois, car toute honorable qu'il fut, votre mouvement de folie ne doit pas devenir un exemple. Est-ce clair ? »

Deek avait tant craint qu'on lui creva les yeux, coupa la langue, voire le précipite du haut d'une tour qu'il se sentit immensément soulagé de ne recevoir « que » des coups de fouet en punition. Il laissa échapper une larme, le salut lointain de la mort l'ayant suffisamment ému.

« - Merci ma Dame, je vous remercie de votre clémence. Je... Je vous promets que mon impudence ne se reproduira pas. J'ai eu tort de ne pas vous faire confiance, de douter de vos choix. Je vous donne ma parole que vous n'aurez plus à vous plaindre de moi.
- Je n'en doute pas. Rappelle-toi que j'agis pour votre bien, à tous, à toutes. Amfayell, si j'avais sacrifié ces femmes et si je m'étais baignée dans leur sang, cela aurait été mon droit, voire mon devoir. Elles sont à moi, tu es à moi. Mes jours sont à vous, car je les sacrifie à l'Empire, aussi puis-je prendre tout paiement qui me semble bon, ne penses-tu pas ? »

Le silence était revenu dans la pièce. Les filles ne savaient pas comment réagir ; plaisantait-elle en parlant d'un bain aussi sinistre ? Deek réalisait en déglutissant qu'elle avait lu ses pensées. Myad, elle, attendait qu'il réagisse.

« Vous avez raison, et j'ai eu tort d'en douter un seul instant. Auprès de qui dois-je aller chercher mon châtiment ? »

Myad héla un nom à voix forte, et un garde du Fleuve noir, un grand blond au regard perçant dont la barbe était nattée, descendit l'escalier dans un tintement de métal léger.

« Onello te punira. Va, à présent. »

Le guerrier fit un signe de tête à Deek pour lui intimer de sortir. Il n'avait l'air ni méchant, ni agressif, ni moqueur. Il avait même plutôt l'air compatissant.

« - Elle vous aime bien, la Dame noire, dit-il quand ils eurent mis trois étages entre l'Impératrice et eux. Sinon, elle vous aurait infligé bien pire.
- Vous n'aimez pas la torture, hein, devina Deek.
- Non, je déteste ça. Dans ma patrie, on laisse un homme répondre de ses péchés avec les dieux et avec les siens. La honte et le silence sont les pires des punitions. Pour moi, un châtiment physique est non seulement avilissant pour le bourreau, mais inutile pour le pécheur.
- Et vous le faites. Parce qu'elle vous l'a ordonné.
- Que ne feriez-vous pas si la Dame sanglante vous l'ordonnait ? »

Pendant ce temps, Myad remerciait courtoisement ses servantes d'un jour. Elle était recouverte de délicates plumes blanches, hormis dans le dos où une très fine chaîne d'or blanc portait un pendentif en forme de fleur renversée – sertie de perles rosées au bas de son dos. Son visage, ses doigts, la paume de ses mains, ses orteils et la plante de ses pieds étaient décorés de chaînettes d'or blanc mais point de plumes. Un pan de satin rose recouvrait une de ses cuisses en se fermant sur l'autre par une broche imitant des lianes entrlacées. Ses cheveux avaient été rassemblés en une très haute coiffure qui retombait L'ensemble était fort curieux... Et tout à fait charmant.
Les filles purent rentrer chez elles dans l'heure. Les cuisiniers vinrent chercher les oiseaux pour les cuisiner, maintenant qu'ils avaient été plumés. Les rumeurs iraient bon train sur les fantasques tenues de l'Impératrice. A n'en pas douter, dans trois jours tout au plus, toutes les femmes ajouteraient des plumes dans leurs cheveux, piqueraient leurs chapeaux d'atours de paons, et le top du chic serait à celle qui se ferait confectionner une robe de plumes. Mais personne ne dirait explicitement qui les avait ainsi inspirés, non. Cela faisait partie du jeu...

Et pour divertir, intriguer son peuple, Ayahantê savait y faire. Cette histoire ferait le tour de l'Empire en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Elle se faisait cette réflexion, allongée nonchalamment sur son trône dans sa tenue pour le moins originale, lorsqu'un héraut lui annonça qu'un visiteur étranger se présentait à sa porte.

« - Ce n'est pas le jour des visites, Jimger, vous devriez vous en souvenir !
- Excusez-moi, ma Dame, mais il a invoqué le droit de s'entretenir avec vous, et comme cet individu n'est pas un individu ordinaire, j'ai cru que...
- Amène-le moi. 
- Vous attendiez quelqu'un, Votre Seigneurie ? Demanda une femme à côté d'elle alors que le jeune homme filait vers la sortie.
- J'attends toujours quelqu'un, Magdalae. »

La magicienne rousse chercha le regard de sa maîtresse, qu'elle ne trouva pas. Les immenses yeux rouges étaient fixés droit vers l'horizon, droit vers cet inconnu que pour une obscure raison – sûrement magique, cette raison – elle avait reconnu. Le Fleuve noir était les impériaux les plus proche de l'Impératrice et pourtant ils étaient chaque jour surpris, attendris ou effrayés par cette personne si étrange à qui ils devaient tous quelque chose. Pour elle, la survie de son fils, le droit de se séparer de son monstre de mari. Finalement, Myad avait tué elle-même l'homme devenu fou, augmentant encore sa dette. Depuis, elle était libre, n'avait plus à se protéger de personne, elle était riche depuis qu'on lui avait remis les biens de son défunt ex-mari. Mais désormais sa place était ici, dans cette vie exaltante et poétique, exigeante également. Elle avait des frères et des sœurs d'arme avec qui elle partageait tout. Pour rien au monde la magicienne ne serait partie.
Comme un soleil ils évoluaient tous autour de leur étoile, en se demandant chaque fois quel tour pourrait-elle leur jouer pour se mettre une nouvelle fois en danger sans qu'ils puissent intervenir. Cette fois, l'étranger ne devait pas être un danger, à moins qu'elle n'attende justement un ennemi à combattre ? Discrètement, elle contacta par pensée ses trois confrères qui, comme elle, était en faction autour du trône et leur enjoint de se tenir prêts. Les jumeaux guerriers, Aaton et Gemnis, hochèrent imperceptiblement leur tête d'ange aux yeux noirs. Et Jezari, aux yeux jaunes sur fond noir, au nez assez plat pour être celui d'un serpent, lui caressa l'esprit d'une vague réconfortante. Tous portaient le traditionnel masque sur la moitié supérieure du visage, en forme de tête de serpent. Elle sentait les crocs sur ses joues. Certains portaient sur le bas de la figure un foulard noir pour se voiler complètement. Magdalae, elle, s'en passait. Il y avait suffisamment de rousses aux yeux verts dans l'Empire pour qu'on ne l'ennuie pas une fois le masque tombé...
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Kellran


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Kellran
Message Sujet: Re: Le jour & la nuit [PV Kellran] | Lun 8 Oct 2012 - 20:11


La vague d’excitation qui titillait l’estomac de l’Elfe, lui chatouillant les côtes en pétillant comme un vin doux et fruité… l’énervait au plus haut point. Sous lui, malmenant l’air de ses ailes de cuir agiles, Delva babillait tel un bébé, ânonnant des stupidités de femelle amoureuse depuis des heures, lançant de ci de là les sentiments qu’elle ressentait, les partageant avec son Dragonnier qui subissait sans rien dire cette pluie de pensées inutiles, bêtes à pleurer. Elle était heureuse, la dragonne, de se diriger vers la ville où résidait le mâle qu’elle chérissait, le père de ses enfants, détenteur par ailleurs d’un des deux œufs qu’elle avait pondu. Elle était impatiente, elle bondissait de joie, elle ronronnait d’excitation, et en son for intérieur, Kellran rugissait de lui intimer l’ordre de la fermer une fois pour toutes. Au lieu de quoi, le Fils du Soleil serra les dents et son visage se ferma, devenant un masque d’impassibilité glaciale, totalement en désaccord avec son caractère habituel. Mais le Dragonnier n’était plus le même depuis son retour de l’Outreterre ; il avait changé, et pas en bien s’il fallait en croire les personnes qu’il avait rencontrées par la suite. Ellenwen, principalement, s’était sentie bouleversée par sa confrontation avec son ami, dont la discussion froide et méthodique l’étonna autant qu’elle l’inquiéta. Il s’était passé quelque chose en Outreterre, mais quoi ? Seul le principal concerné en savait suffisamment pour comprendre cette métamorphose.
Sa tenue également s’était adaptée à son humeur : manteau brun Sali par la poussière du voyage, au capuchon rabattu sur ses cheveux blonds, foulard gris autour de cette bouche autrefois si souriante, ne laissant voir que des yeux d’or ternis par un voile sombre. Sous le manteau, il restait torse nu, la cicatrice récoltée chez les drows bien visible sur une peau pâle et maladive, ayant vite perdu son teint hâlé. Pour peu, il affichait physiquement le nom de son peuple – les elfes gris - tout en reniant le titre qui était pourtant le sien depuis qu’il avait retrouvé le chemin de l’Alagaësia : Fils du Soleil. Un soleil éclipsé par l’astre du chaos.

« Dras-Leona ! » s’extasia enfin la dragonne, qui amorça sa descente vers la cité-capitale du Saint-Empire Léonien, prenant la trajectoire du lac où elle pourrait se poser sans risquer d’alerter les gardes par une apparente menace. En ces temps troublés, n’importe quel mouvement irréfléchi pouvait être considéré comme une déclaration de guerre, et cela était bien la dernière envie de Kellran que de déclencher une guerre en faisant atterrir son dragon en plein centre de Dras-Leona. Delva, elle, aurait bien aimé pouvoir voler directement jusqu’au palais, rejoindre Yenlui et son enfant encore à naître, sans se préoccuper de considérations aussi triviales que la politique.
- Reste ici, lui ordonna le Dragonnier en faisant coulisser ses poignards dans leur fourreau unique. Je m’arrangerai pour que Yenlui te rejoigne le plus tôt possible.
La dragonne d’or acquiesça, réfrénant son impatience et regarda son compagnon d’esprit disparaître derrière les arbres. Elle se rendait compte seulement maintenant de l’humeur maussade de son Dragonnier, du nuage noir qui empuantissait son âme, impénétrable, rempli de poison. Comme souvent depuis qu’elle l’avait vu sortir des souterrains d’Outreterre, Delva sentit un frisson d’effroi lui parcourir l’échine.

Kellran rejoignit la grande route menant aux portes de la cité, où il se mêla au flot de passants allant et venant, certains quittant Dras-Leona pour d’autres lieux, d’autres s’empressant d’y entrer en quête de sécurité, de confort ou juste de compagnie. Devant lui, un homme maltraitait sa monture, un superbe cheval bai, à grands coups de trique, faisant saigner le noble animal qui piaffait de douleur. D’un murmure, l’Elfe détacha les courroies maintenant la selle en place, faisant lourdement chuter le cavalier incompétent. Il s’avança de quelques pas et écrasa les doigts tenant la trique sur le sol, sans se préoccuper du hurlement de douleur que poussa l’imbécile. Peu après, il arriva aux portes et s’arrêta devant les gardes, deux forts gaillards en uniforme, très bien armés et équipés d’armures de bonne qualité. Autrefois, le clan dénommé Empire était moins bien fourni que maintenant, un état de fait de plus à ajouter au crédit de l’Impératrice qui ne faisait pas les choses à moitié. Le garde de gauche s’avança et lui barra la route d’une main :
- Qu’est-ce qui t’amène en ville, étranger ? questionna-t-il d’une voix autoritaire.
Kellran leva les yeux vers lui, plongeant deux sphères d’or en fusion dans le regard de l’humain qui eut un léger mouvement de recul involontaire. Il resta néanmoins en place, ce qui lui attira le respect de l’Elfe.
- Je viens voir l’Impératrice.
Les deux soldats se regardèrent, sans sourire. On leur avait déjà fait ce coup là un nombre incalculable de fois, paysans, traîne-la-patte et mendiants, nobliaux... Ils secouèrent la tête.
- L’Impératrice ne reçoit pas n’importe qui n’importe quand. A qui crois-tu donc avoir affaire ? Si c’est là ta seule raison d’entrer, tu ferais aussi bien de dégager tout de suite !
Les yeux du Fils du Soleil étincelèrent, tandis qu’il avançait d’un pas et repoussait son capuchon, affichant à la vue de tous ses oreilles pointues d’Elfe et son visage anguleux, trop fin et gracieux pour être humain. Les pans de son manteau s’écartèrent, exhibant sa cicatrice rouge et noire sur laquelle les gardes jetèrent un regard horrifié.
- Je ne suis pas n’importe qui. Maintenant, vous allez m’annoncer à votre maîtresse et on verra si je ne suis pas autorisé à entrer.

Tandis qu’il attendait, l’Elfe caressait entre ses doigts le métal du torque en forme de dragons qui se nouait autour de son cou. Grâce à lui, Myad saurait bien assez tôt qui était le visiteur qui demandait si expressément un entretien avec elle, aussi ne doutait-il pas de recevoir une réponse positive. A moins qu’entretemps, les sentiments de l’Impératrice envers lui n’aient changé, ce qui n’empêcherait pas l’Elfe Gris d’avoir une discussion avec elle, de gré ou de force.
« Ne t’inquiète pas. » le rassura Delva mentalement, en lui transmettant une vague d’apaisement. « Ses sentiments n’ont pas changé, j’en suis certaine. »
Kellran la repoussa, se moquant bien de sa sollicitude. Il surveillait du coin de l’œil les gardes qui l’encadraient, réfléchissant à la meilleure stratégie si par malheur quelque chose venait à mal tourner. Il définissait tous les points faibles de leurs armures lorsqu’un héraut se présenta pour l’amener à l’Impératrice. Le quatuor traversa la cité, le héraut en tête, le Dragonnier qui le suivait et les deux gardes de part et d’autre à un pas derrière pour l’encadrer. Le palais léonien se découpait clairement au-dessus des bâtiments, au bout de la route. Une fois à l’intérieur, on le mena parmi les étages jusqu’à la salle où se tenait Myad. La salle du trône, rien de moins, pour accueillir un visiteur « étranger » capable d’effrayer deux soldats d’un simple regard, et un Elfe par-dessus le marché. Il fut invité à entrer et, après avoir été sommé de se délester de ses armes, enfin débarrassé du héraut et des deux gardes qui n’étaient plus nécessaires désormais. Et pour cause : d’un simple coup d’œil, Kellran embrassa la salle, dénombrant pas moins de quatre gardes du corps autour du trône de l’Impératrice, laquelle y était allongée de manière nonchalante dans toute sa blancheur. Une colombe dans un nid de serpents, voilà l’image qui sautait aux yeux lorsqu’on ne réfléchissait pas plus loin que le bout de son nez. Car la souveraine, couverte de plumes blanches de la tête aux pieds, semblait voracement entourée de ces guerriers au visage recouvert d’un demi-masque de serpent dont les crocs venaient lécher leurs joues, cachées pour certains derrière un tissu noir qui les rendait totalement méconnaissables. Seule une femme rousse, la plus proche de l’Impératrice, avait le bas du visage nu et ses yeux verts lançaient sur le nouveau venu une analyse approfondie du danger qu’il pouvait représenter.
Il étendit son esprit, touchant fugacement les pensées des quatre gardes du corps jusqu’à ce que leurs défenses mentales s’érigent, l’empêchant d’aller plus loin. Des magiciens donc. Kellran en aurait souri s’il avait été d’humeur ; Myad savait s’entourer de gens compétents et indéfectiblement loyaux, d’après ce qu’il avait senti. Il put donc apposer un nom sur ces personnages : le Fleuve Noir, la garde personnelle de l’Impératrice, chaque membre prêt à mourir pour leur maîtresse.
- Très seyant, lâcha l’Elfe d’un ton neutre en tournant son attention vers ladite maîtresse.
Il remarqua que les plumes, collées avec précision sur tout le corps de l’Impératrice, laissaient place à de fins maillons d’or blanc aux endroits nécessitant une liberté de mouvement totale ; les doigts, les orteils, le visage. A hauteur de taille, elle portait un pan de tissu rose lui couvrant délicatement une cuisse. Une couleur innocente qui contrastait avec son regard serpentin. L’ensemble donnait une impression de liberté, de grâce et de douceur qui, mélangée au caractère fort de l’Impératrice, l’aurait sans doute fait rapidement succomber de désir… Si son esprit avait encore la moindre place pour de telles frivolités. Il ne pouvait cacher qu’il ressentait de la joie en revoyant la femme de ses rêves, qu’il était heureux et rassuré de la voir en vie, et en bonne santé, que son amour pour elle luttait pour sortir au grand jour. Cette part de lui qui désirait tant la prendre dans ses bras, savourer la fraîcheur de sa peau, caresser ses bras nu d’un gris argenté, étouffée comme tout le reste par la noirceur de ce nuage mental empoisonné.
- J’espère que cette nouvelle « mode » n’est pas une invitation à vous plumer comme un vulgaire pigeon, poursuivit-il, impitoyable. Certains ne demandent qu’à s’y essayer.
Il s’attira par ces paroles l’inimitié du Fleuve Noir, dont les membres présents dans la pièce le foudroyèrent du regard. Le Dragonnier les vrilla un par un, montrant clairement qu’il ne ressentait aucune peur face à eux, avant de les ignorer superbement. D’une main, il libéra sa bouche du foulard et souffla :
- Nous avons à discuter. Seuls, de préférence. Est-ce possible ?
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Myad


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Myad
Message Sujet: Re: Le jour & la nuit [PV Kellran] | Mar 9 Oct 2012 - 14:54


Le hasard avait voulu que la mort côtoie la vie entre ses doigts d'or fondu, telle une plaisanterie acide qu'un quelconque dieu oublié lui aurait infligée sans pitié aucune. Il caressait d'un même mouvement infiniment doux celle qu'il avait perdu et celui dont il attendait la venue. L'un irradiait d'une présence mille fois plus puissante que toute chose autour de lui à des kilomètres à la ronde, ses savoirs trop nombreux menaçant l'équilibre du monde. Il devrait être détruit, ce vestige de ce qui fut, mais il reculait cet instant avec répugnance. L'autre était si mystérieux, présent, vivant, et pourtant désespérément silencieux, qu'il attirait les yeux et l'attention. Lui qui devait être protégé, pour devenir quelque chose de nouveau, et il désirait ardemment que l'on satisfasse son impatience. Yenlui pressa un peu plus l'Eldunari de sa mère, d'un gris luminescent, et l'un de ses œufs, d'un noir veiné d'argent, contre lui. Un profond soupir fit couler de ses naseaux une fumée maussade. Même après avoir revu sa sœur, et malgré ses entrevues régulières avec Dark ou Yawë, il ne se remettait pas de son chagrin. Pourtant, sa tristesse avait pris un tempo plus supportable. Sa poitrine ne lui donnait plus l'impression d'être compressée par un étau de métal, la nourriture avait retrouvé sa saveur, il acceptait de s'intéresser de nouveau au reste du monde... Son escapade solitaire lui avait permis de se défouler, de muer de son chagrin. Nettoyant la plaie infectée, libérant son cœur qui agonisait. A son retour, Myad avait pleuré des larmes de sang, elle qui s'était languie de lui, elle qui avait tant craint pour son ami. Yenlui l'avait rassurée et couvert de remerciements. Il ne cesserait jamais d'aimer celle qui le pêchait avant qu'il ne se noie dans les ténèbres de la dure réalité.

Le vent soufflait en plein sur sa figure depuis une dizaine de minutes, ce qui ne lui déplaisait pas. Après tout, un peu de fraîcheur était parfois bienvenue. D'autant plus si elle lui apportait l'odeur ô combien ressassée de sa bien-aimée.
A peine eut-il reçu cette information qu'il la cacha à sa Dragonnière dans le but assumé de lui faire une surprise... Car il avait également perçu la fragrance familière de Kellran accompagnant Delva. Son odeur, contrairement à la dragonne, était légèrement différente. En l'analysant plusieurs secondes, le mâle doré remarqua que la blessure qu'il s'était faite en Outreterre n'avait pas guéri. Il en sentait encore l'âcre arôme. Exhalant un nouveau soupir, d'agacement mêlé de déception, le fils d'Arget se redressa en étirant ses ailes, accrochant les étincelles que lui envoyait le soleil. Il hésita à laisser l'Eldunari dans la chambre qu'il partageait avec Myad, confortablement protégée par des sorts puissants. Après mûre réflexion, il s'exécuta. Delva n'avait pas besoin qu'il lui rappelle son deuil de façon aussi nette, radicale. De plus, tant qu'Arget refusait de communiquer avec eux, sa présence silencieuse, hurlante de reproches envers le monde entier, ne serait qu'un malaise pesant dans des retrouvailles qu'il refusait de ternir. En revanche, il prit son enfant avec lui, non sans l'avoir tendrement léché de tout son long. Afin d'abuser d'éventuels observateurs, le dragon prit son envol droit dans la direction opposée, volant bien haut pour disparaître au-dessus des nuages pour changer d'itinéraire. Lorsqu'il atteignit le bois désormais interdit à toute autre personne que l'Impératrice et son frère d'âme, son précieux nodule d'or y était déjà, seule. Il fut un instant attristé d'avoir raté Kellran, mais il se consola en se disant qu'il le verrait à son départ.

Il atterrit en plongeant dans le lac, éclaboussant la forêt entière à des mètres et des mètres à la ronde. Sa tête sortit de l'eau alors qu'il poussait un rugissement amusé ; il chercha le regard de celle qu'il aimait, et se figea une seconde en le croisant. Il savoura cet instant de toutes ses forces avant de tendre le cou pour pousser un grognement on ne peut plus affectueux, qui aurait fait frémir même les êtres les plus cruels. Yenlui rejoignit la berge à la nage, comme lors de leur première rencontre, l'oeuf coincé dans le creux de son coude comme à chaque fois qu'il se déplaçait. Sur sa coquille, miroir d'obscurité et de de lumière, les gouttes d'eau glissaient telles des larmes. Le dragon posa délicatement sa tête contre celle de sa femelle, soupirant de satisfaction cette fois. Il ferma les yeux un instant, s'imprégnant de son odeur.

*Delva, yeux-de-rubis, comme tu m'as manqué. Comme vous m'avez manqué,* ajouta-t-il en transmettant l'image de leur autre œuf, dont Delva avait la charge. *L'as-tu pris avec toi?

Ce disant, il posa précautionneusement son propre trésor sur le sable humide, pierre précieuse, bijou mystique sur un vulgaire lit grisâtre. Et il continua de frotter sa gueule contre celle, plus petite, plus fine, de sa belle dragonne, mordillant les pics noirs qui ornaient son cou gracieux.

*Je suis jaloux des elfes, et des dragons qui vivent avec eux, qui peuvent s'enivrer tous les jours de ta beauté !* plaisanta-t-il en continuant ses baisers.

*

Yenlui choisit de rouvrir son esprit à sa Dragonnière à l'instant où, s'interrogeant machinalement sur l'identité du visiteur qu'on lui annonçait, Myad fut piquée par une sensation désormais connue. Un frémissement chaud puis froid, accompagné de sensations liées à un milieu qu'elle connaissait bien. Le torque enchanté qu'elle avait offert à Kellran, lorsqu'elle se concentrait ou que son amant était proche, l'informait sur sa position dans le monde. Plus il était loin, plus cela coûtait d'énergie à son porteur, ce pourquoi la Gardienne suivait rarement les vagabondages du Fils de Soleil, également par respect pour lui. Elle avait ses secrets, lui aussi y avait droit, non ?

Il était là. En chair et en os. Son esprit bouillonnant de puissance et de pensées. Contrarié, semblait-il. Myad sentait aussi clairement que les plumes sur sa peau la noire humeur du compagnon qu'elle s'était choisi. L'Impératrice perdit le sourire qui avait à peine commencé à fleurir sur ses lèvres, si rapidement que même ceux qui la regardaient en cet instant durent croire à un effet d'optique. Yenlui lui avait confié à demi-mot que Kellran était revenu en piteux état de son séjour prolongé en Outreterre ; avoeu qui avait si fort contrarié la souveraine qu'elle était allée elle-même chasser, et à mains nues, pour le repas du jour. Trois cerfs et un ours plus tard, couverte de sang, de terre et de chairs broyées, elle était revenue légèrement calmée. Elle le savait. Elle avait accepté de le laisser à Goterada, parce que c'était son choix, un noble choix, qu'elle-même ne pouvait faire pour de multiples raisons. Mais elle avait toujours redouté que le Dragonnier ne supporte pas l'univers si particulier des souterrains. Malgré sa longue existence, ses douloureuses expériences, rien ne prépare à ce qui se trame là-bas. Elle-même y était accoutumée, pour y être allée plusieurs fois et avoir subi à de nombreuses reprises le caprice des partisans de Lolth. Mais pas lui... Bien qu'elle eut pu regretter, Myad ne le faisait pas. Elle connaissait suffisamment son amant pour savoir qu'il n'en aurait fait qu'à sa tête, et deviner que Djenka, de quelque manière que ce fut, aurait besoin de lui. Penser à sa demi-soeur inonda ses veines d'un feu haineux, douloureux, qui lui fit mal, mais qu'elle éteint aussitôt. On n'est pas une Impératrice si on ne sait pas contenir ses émotions. Et elle avait d'autres chiens à fouetter, ou plutôt un autre elfe pour qui se remuer les sangs.
Magdalae et les trois guerriers examinèrent le nouveau venu avec grande curiosité, bien qu'ils ne bougèrent pas d'un cil pour le témoigner. Peu d'oreilles pointues se risquaient à Dras Leona, capitale de l'Empire, et plus encore, à se présenter à elle. Myad ne doutait pas qu'ils devineraient assez rapidement quel genre de lien ils pouvaient bien entretenir et se trouva intéressée par leur éventuelle réaction. Seraient-ils inquiets du danger, intrigués par cette nouvelle carte, satisfaits de voir leur souveraine tourner significativement la page Keritel ? Toujours est-il que Kellran ne leur laissa pas le temps de choisir une opinion neutre à se faire de lui, les toisant un par un, froidement, insolemment, comme il eut méprisé des chiens de garde. Malgré tout le self control dont ils disposaient, Myad sentit la moutarde leur monter au nez. Elle préféra couper leur vindicte dans l'oeuf avant que cela ne prenne de l'ampleur et leur transmit aussitôt un ordre bref.

*Du calme. Ce n'est pas notre ennemi.*

Si cela ne les empêcherait pas de pester contre l'outrecuidance du nouveau-venu, cela les empêcherait de vouloir tenter quoi que ce soit. D'autant qu'Aaton et Gemnis étaient très jeunes, donc assez impulsifs, et s'ils étaient gracieux comme des oiseaux, ils étaient impulsifs comme de jeunes coqs. Elle préférait éviter de perdre des recrues si prometteuses.

« Bienvenue à Dras Leona, Kellran Anarion, Fils du Soleil, le salua l'Impératrice en souriant courtoisement. Toutefois, son sourire était quelque peu crispé. »

Qu'est-ce que c'était que ça ?

Où était la peau dorée, douce et veloutée comme une pêche, de son amoureux ? Le torse qu'elle avait parcouru de ses doigts avides était avili d'une vilaine plaie, qui n'avait pas changé depuis la description que lui en avait faite Yenlui, et pourtant, sa sortie d'Outreterre ne datait pas d'hier. Son regard autrefois moqueur et vif, joyeux, sérieux ou attentif, n'était que lassitude terne. Myad se mordit discrètement l'intérieur de la joue de ses canines pointues. C'était pire que ce à quoi elle s'était attendue...

« J’espère que cette nouvelle « mode » n’est pas une invitation à vous plumer comme un vulgaire pigeon. Certains ne demandent qu’à s’y essayer. »

Un éclat de rire sincère papillonna dans l'air tendu, prenant le Fleuve noir par surprise. Magdalae sursauta même, alors que Myad se penchait sur son trône, yeux mi-clos tel un chat joueur.

« Ils peuvent essayer, répondit-elle d'un ton doucereux, son sourire se faisant carnassier. J'aurais là tout le loisir de leur rappeler pourquoi on m'appelle la Dame sanglante. »

Kellran ôta son foulard, libérant la partie basse de son visage. Le cœur de Myad se pinça. Il était le fantôme de celui qu'elle avait connu. Vidé de sa substance... De sa lumière.

« - Nous avons à discuter. Seuls, de préférence. Est-ce possible ?
- La loi nous y autorise, ironisa Myad, elle qui n'avait qu'à claquer des doigts pour faire n'importe quoi dont elle eut pu avoir envie. Soldats, restez ici.
- Est-ce possible de vous demander où vous allez vous rendre, Majesté ? Demanda Leif en s'inclinant.
- Dans mes appartements. Pourquoi cette question ?
- Le reste du Fleuve noir est sorti s'entraîner dans les plaines, ma Dame, insista doucement le guerrier. Nous ne pourrons pas intervenir rapidement en cas de problème.
- Cela n'est pas grave, puisqu'il n'y aura pas de problème, décréta Myad d'un ton sans appel en faisant signe à Kellran de la suivre.
- Bien, Impératrice. Pardonnez-moi de vous avoir importunée. » Et il s'avança pour lui ouvrir la porte menant à l'escalier le plus proche.

Il lança un drôle de regard à Kellran lorsqu'il passa devant lui, mélange de grand intérêt, d'inquiétude et de méfiance. D'ordinaire, Leif parlait peu. C'était un homme discret, agissant sobrement, simplement, mais efficacement. Il était venu de lui-même, disait-on, pour vendre sa vie à une femme qu'il ne connaissait qu'à travers ses actes les plus connus. C'était lui, murmurait-on, qui avait été le premier à lui jurer fidélité. Le guerrier à la lame aussi haute que lui ne fit cependant aucune remarque et laissa poliment passer l'elfe.
Durant plusieurs minutes où les deux hybrides montèrent les étages du pas fluide propre à leur espèce, ils restèrent tous deux silencieux. D'une part, parce qu'il est peu pratique de converser dans les espaces étroits ou tournants comme certains escaliers, ensuite parce qu'il y avait tant de monde partout que le moindre mot aurait pu être répété, colporté, déformé par les murs curieux. Enfin, ils atteignirent un passage plus discret, en retrait, surveillé par deux gardes lourdement armés. En les regardant suffisamment, on pouvait voir que l'un d'entre eux avait le visage monstrueusement balafré, et l'autre avait les lèvres et les oreilles arrachées. Lorsque l'Impératrice passa entre eux, il y eut un tremblement étrange, une menace glacée dans l'air. Le sourire cruel qu'elle lança aux deux humains ne laissait pas de place au doute sur l'identité de l'auteur de ces mutilations.

Ils atteignirent la première section des appartements de l'Impératrice, ceux qu'elle avait cédé au Fleuve noir ; eux seuls et elle-même avaient le droit d'y pénétrer. Ils avaient deux dortoirs, une salle d'entraînement, une salle pour lire et étudier, un réfectoire. Certaines portes étaient ouvertes ; si les pièces étaient vides on pouvait y deviner des meubles de goût, de belles décorations, une fleur ou une dague traînant deci delà. Le foyer multiculturel, intime et précieux, de la Compagnie du Fleuve noir.
Enfin, ils arrivèrent devant un hall d'entrée dont la porte était chichement décorée de sculptures de créatures mythologiques, toutes tirant une sorte de voile qui entourant le panneau de bois épais. Ni pierres précieuses, ni ode à sa gloire. Elle murmura les différentes incantations nécessaires pour libérer l'accès à sa chambre avant de pousser la porte.
La pièce était assez vaste, mais paraissait minuscule en comparaison du traditionnel gigantisme auquel s'autorisaient les chefs d'Etat.
Un lit sphérique avait été installé au milieu de la pièce, avec deux matelas épais recouverts de satin noir. De nombreuses fourrures noires, brunes, blanches toutes plus douces les unes que les autres ; des oreillers recouverts de soie grise, ébène, pourpre semblaient avoir été jetés là nonchalamment. Il n'y a pas si longtemps, elle s'y était couchée avec Djenka, et Djenka lui avait demandé de rejoindre l'Empire... Deux fontaines, installées en des coins opposées, décorées de lierre et de fleurs délicates entretenues avec soin, empêchaient le silence de s'installer. Les murs disparaissaient sous les bibliothèques de pierre, où s'accumulaient des livres, parchemins que Myad noircissait de sa plume, bouquets de plantes séchées étiquetés, ampoules aux formes diverses et aux contenus mystérieux. Une très belle sculpture représentant une sorte d'oeuf, entouré de toiles d'araignée et qui semblait éclaboussé de sang, supportait une plaque de verre noir en une très belle table basse. Sur un mannequin en fer forgé, dans un coin, le collier de métal noir au bout duquel pendait les deux Diamants. Ils émirent une sorte de vibration à l'approche de leur Gardienne, un éclat infime et violent. Elle les caressa du regard, leur promettant de les reprendre avec elle bientôt. De petites boîtes magnifiquement ouvragées cachaient les bijoux ou biens personnels précieux à l'Impératrice, objets anonymes que beaucoup de monde convoitait, par une curiosité douloureuse. Tant de secrets autour de cette femme... Très peu de monde était entré dans cette pièce. Excepté Kellran et Dark, Arkillon qui s'y était invité sans son autorisation, les membres du Fleuve noir y avaient pénétré. C'était tout. Sur tout un pan de mur, un très lourd rideau de velours noir ouvrait sur la « chambre » de Yenlui, beaucoup plus grande que la chambre de sa Dragonnière. En y étendant son esprit, Myad se prit une gifle spitiruelle. Ah, l'Eldunari était ici. Cette extraordinaire concentration de puissance ne pouvait rester longtemps cachée. Bientôt il faudrait le détruire avant qu'on ne leur lui vole, et le plus tôt serait le mieux...

Après avoir passé une main sur l'une des fourrures posées sur le lit, l'Impératrice décida qu'elle avait laissé suffisamment de temps à Kellran pour apprivoiser l'espace. Elle s'assit sur le lit, dévisageant attentivement son amant... Avec qui elle avait déjà vécu un nombre intéressant de tourments.

« Yenlui m'avait prévenue, mais je ne m'attendais pas à ce que mon astre change de ciel, murmura-t-elle à voix basse, et ses yeux rouges luisaient d'inquiétude. »

Elle détailla très attentivement l'apparence de l'elfe, et ne put s'empêcher de se relever, s'approchant de lui dans un irrésistible attrait. Il y avait une éternité qu'elle ne l'avait pas vu, senti, touché... Et voilà qu'il lui revenait, mais si froid... Si... Fermé.

« On ne m'avait pas dit que quand le soleil était blessé, il devenait lune, ajouta-t-elle avec un sourire sans joie. Tu as sa pâleur, sa tristesse, sa douleur. Que puis-je faire pour te rendre au jour ?... Me laisseras-tu te toucher seulement ? » En fauve sauvage, elle était capable de sentir l'animal blessé qui refusait tout contact. Même si cela lui ferait mal, elle accepterait sa décision.

La Gardienne Absolue, dont le visage était éclairé par la matinée éblouissante, exprimait des émotions vives, toujours contrôlées, mais point masquées. Elle redoutait de ne pouvoir aider Kellran. Elle souffrait d'avoir été impuissance à l'aider quand il en avait eu besoin. Elle lui en voulait d'être resté seul, de ne pas avoir demandé son aide. Et peut-être aussi qu'elle vivait mal ce séjour inconnu avec sa demi-soeur, meurtrière de son père, négociant avec la déesse araignée et accessoirement très belle Dragonnière...
Approchant ses mains graciles du visage aimé, elle s'arrêta à deux centimètres de sa peau. Interrogeant. Elle pouvait à peine percevoir sa chaleur – alors que d'ordinaire, il donnait l'impression d'irradier...
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Kellran
Message Sujet: Re: Le jour & la nuit [PV Kellran] | Jeu 11 Oct 2012 - 17:52


Kellran avait disparu depuis quelques minutes à peine lorsque Delva sentit l’approche d’un esprit qu’elle connaissait maintenant très bien. Elle se dressa sur ses pattes épaisses, humant l’air en dévoilant ses crocs dans un sourire qui aurait donné à n’importe quel bipède une crise cardiaque. L’excitation fit trembler ses membres, elle se retint de bondir de joie. Brièvement, elle prévint Kellran qu’il n’était plus nécessaire de dire à Yenlui qu’elle était là, car le beau dragon l’avait découvert tout seul. Il était impressionnant, tellement surprenant. Delva ronronna en voyant la silhouette du mâle se découper dans le ciel, se lancer dans une acrobatie aérienne qui l’amena à plonger dans le lac avec toute la grâce d’un dragon habitué au vol. La femelle grogna d’amusement en bravant de plein fouet la vague aquatique qui la percuta, résultat dudit plongeon effectué à pleine vitesse. Elle s’approcha de la berge, réduisant la distance entre elle et son mâle, son Yenlui dont la tête crevait maintenant la surface, arborant toute sa joie de la revoir, ce qui enflamma le cœur de la demoiselle. Leurs regards se croisèrent, s’attardèrent un instant l’un dans l’autre, savourant ce moment magique. Le dragon de Myad quitta enfin le lac, révélant l’œuf qu’il portait dans le creux de son coude, l’une des merveilles dont ils étaient les géniteurs. Ils avaient d’un commun accord décidé de partager la garde de leurs enfants ; Yenlui avait choisi celui-ci, dont les veinules argentées dessinaient leurs motifs sur une surface d’un noir laqué. Delva avait pris l’autre, et l’avait remis à son Dragonnier fraîchement sorti d’Outreterre pour qu’il veille sur ce trésor durant le voyage. Inconsciemment, elle avait espéré que ce geste apaiserait son compagnon d’âme et d’esprit, que cela lui mettrait un peu de baume au cœur, que ça lui ferait oublier ce qu’il avait vécu dans les souterrains. Une demi-victoire… Oui, Kellran s’était attaché à l’œuf, veillant sur lui comme il avait veillé sur Delva lorsqu’elle était elle-même emprisonnée dans sa coquille d’or. Mais il n’oubliait pas pour autant son aventure, et son âme restait torturée et maussade.
Délaissant ses inquiétudes, Delva ronronna plus fort lorsque Yenlui vint frotter sa tête contre la sienne, lui transmettant son amour et son bonheur de la revoir, de les revoir comme il disait maintenant, en partageant l’image qu’il avait gardé du deuxième œuf, celui dont elle était gardienne. L’avait-elle pris ? La dragonne émit un doux bruit de gorge, glissant une griffe dans le havresac de son Dragonnier resté près d’elle, posé dans l’herbe humide. Le deuxième trésor apparut, d’un blanc pâle mêlé de gris, taché de ci de là par des volutes noirs semblables à des petits nuages cotonneux. L’œuf vint rejoindre son jumeau d’une autre teinte, sur le sable gris, où il s’affaissa légèrement en arrière, comme fatigué du long voyage qui les avait amenés jusqu’ici.
« Bien sûr ! », répondit la femelle d’un sourire. « Comment aurais-je pu laisser notre dragonneau loin de son père ? »
Sans cesser de se laisser câliner par son chéri, elle se rapprocha de ses petits et se sentit enfin complète, unie par la famille qu’elle avait toujours désirée. Il ne manquait que Myad et Kellran pour que ce moment soit véritablement parfait, une Myad souriante et libre de toute politique, un Kellran enfin redevenu lui-même, rayonnant de nouveau comme un soleil.
Pas tout de suite… regretta la dragonne avant de cligner des yeux, l’air étonnée :
« Quels dragons ? » demanda-t-elle, sincèrement surprise de la remarque de son compagnon. « S’il y en a, ils doivent se cacher dans les terriers de lapin ou les nids d’oiseau, car je n’en ai pas vu beaucoup. »
Elle agita la queue, soudain taquine :
« Mais si j’en rencontre, promis, je leur dirai bonjour de ta part. »
Affichant son plus bel air innocent, elle glissa son nez dans le cou de son chéri et respira son odeur. La journée s’annonçait bien !

***
Bienvenue à Dras-Leona, Kellran Anarion, Fils du Soleil.
Le salut était irréprochable, d’une neutralité parfaite. Le sourire de l’Impératrice était doux, mais pour Kellran, visiblement crispé. Comment s’en étonner ? En guise de bonjour, l’Elfe lui avait servi une remarque peu sympathique sur sa tenue des plus inhabituelles, après tout. Le Fils du Soleil avait connu des souverains qui, pour le même crime, auraient ordonné qu’on lui tranche la langue, voire la gorge. Il devinait que celle qui se tenait devant lui n’hésitait pas à punir l’insolence chez ses sujets dès que l’un se montrait trop présomptueux. Mais son visiteur n’était pas n’importe qui, de part sa race, de part son rang, de part les sentiments qu’ils entretenaient l’un pour l’autre également.
En lieu et place d’une punition, Kellran reçut comme réponse un rire inattendu suivi d’une réplique soufflée d’un regard joueur. Elle rappela du même coup qu’elle n’était pas femme à se laisser faire, son surnom de « Dame Sanglante » laissant planer dans l’air comme une menace voilée. Peu après, elle accepta un entretien en tête, ordonnant à ses gardes de rester sur place tandis qu’elle mènerait son invité au lieu de son choix. L’Elfe eut l’occasion d’écouter le léger désaccord entre l’un des membres du Fleuve Noir et leur maîtresse, laquelle mit un terme au problème d’une phrase. Ce simple et court spectacle en disait long : le Fleuve Noir était une organisation professionnelle, véritablement soucieuse de la sécurité de leur protégée, mais également obéissante et confiante dans les paroles de l’Impératrice. Leur loyauté semblait une valeur sûre, mais qu’en était-il de leurs capacités ? Il frôla l’un d’eux, celui à la longue lame de mêlée, sentit son intérêt peser sur sa nuque sans qu’aucun mot ne soit échangé.
« Un autre jour. » se promit le Dragonnier. « Il faudra que je voie de quoi sont capables les guerriers du Fleuve Noir. » Là n’était pas le principal sujet qui occupait l’esprit de Kellran actuellement. Alors qu’il suivait Myad dans un nouveau labyrinthe de couloirs et d’escaliers, il refit mentalement l’ordre dans ce qu’il avait appris depuis l’Outreterre ; beaucoup, et à vrai dire, pas grand-chose.
Chez les drows, l’Impératrice jouissait d’une réputation noire, elle n’y était pas appréciée. Elle a détruit nos deux cités, cette information était revenue souvent. Elle a assassiné le dernier Dragonnier d’Outreterre, également. Il repensa aux discussions qu’il avait eues avec des Elfes Noirs…
Elle n’est pas comme nous.
La bâtarde.
Folle furieuse.
Pourrie, meurtrière.
Sang de la surface.
L’Arme…

Ce dernier nom l’avait marqué. Qu’est-ce que cela signifiait, exactement ? Il n’en savait pas plus aujourd’hui. Par contre, à Ellesméra, d’autres nouvelles étaient parvenues à ses oreilles. L’Impératrice s’était déplacée jusqu’à la capitale elfique pour s’entretenir avec Ellenwen ; deux personnages couronnés entretenant des relations qu’il n’était pas facile de démêler. Kellran avait compris que son amie avait pour Myad un immense respect et une certaine affection, ainsi qu’un passé commun. Encore une fois, l’Elfe restait dans le flou à ce sujet, mais il comptait bien en apprendre plus. Après cela, il y avait mieux ! Restée à Ellesméra, l’Impératrice avait été aperçue en compagnie de deux hommes avec qui, normalement, elle n’était pas censée entretenir de rapports cordiaux : Marek Krayt, le dirigeant officiel du Mor’ranr, la faction rebelle qui lançait des raids contre l’Empire qui l’avait spoliée de ses territoires, et Charlie le Tueur d’Ombre, Caithdein de la Reine des Elfes, sous les ordres de qui Kellran s’était battu lors de la guerre contre Nuit dans le désert du Hadarac. Tous les elfes ayant vu ce trio des plus étranges s’accordaient à dire qu’ils agissaient comme de vieux amis, partageant des discussions amicales et des gestes tendres. Ils avaient aussi fait remarquer qu’ils portaient tous trois une pierre pendue à leur cou par un collier, des pierres différentes pour chacun, qui brillaient à plusieurs mètres à la ronde. Des pierres magiques, sans aucun doute.

Le regard du Fils du Soleil se fixa sur le dos de l’Impératrice, caressé par une chaîne constituée de maillons d’or blanc, comme ses pieds, ses mains et son visage l’étaient, le reste étant fait de plumes tout aussi immaculées. Chaque torche était l’occasion pour tout ce blanc de luire, donnant à la demi-drow un aspect de pureté et d’innocence démenti dès que l’on avait l’occasion de croiser ses yeux.
« Je ne la connais pas. »
Ils s’arrêtèrent devant deux nouveaux gardes protégeant ce qui devait être l’accès aux appartements de l’Impératrice. Il ne s’agissait pas de guerriers du Fleuve Noir – ils ne portaient pas de masque en forme de serpent – à moins que leur tenue ne soit qu’un leurre. L’un d’eux était horriblement balafré du visage, à tel point qu’il avait de la chance d’avoir encore deux yeux, une bouche et un nez valide. L’autre n’était pas plus chanceux, ses lèvres et ses oreilles disparues pour laisser place à des trous béants de noir. Ce qui se passa lorsqu’ils passèrent entre eux ne laissa place à aucun doute quant à l’identité de leur malheur ; l’odeur de la peur aurait étouffé même le moins sensible des hommes. De là, ils entrèrent dans une partie du bâtiment découpée en plusieurs pièces, certaines isolées à la vue par une porte close, d’autres laissées ouvertes montrant des salles de vie communes, sobres mais luxueuses, meublées avec goût et de manière pratique. Il vit un dortoir occupé par des lits simples et des tables où reposaient plusieurs armes, ainsi qu’une salle de réfectoire digne d’une caserne militaire. Le constat était simple : il se tenait dans le lieu de vie du Fleuve Noir.
« Une bonne idée. Devoir passer par les quartiers des protecteurs avant de pouvoir atteindre ceux de la protégée. »
Comme dit plus tôt, ceux-ci étaient vides, les quatre gardes du corps présents dans le palais obligés de rester dans la salle du trône par ordre de l’Impératrice. Kellran avait là la parfaite mesure de toute la confiance que lui portait Myad ; elle s’ouvrait à lui, seule et sans défense hormis celle qu’elle-même pourrait fournir.
« Elle me connaît. Elle sait que je serais bien incapable de lui faire du mal. Elle m’a percé à jour. »
Ils laissèrent derrière eux l’antre du Fleuve Noir et pénétrèrent enfin dans les appartements privés de la Dragonnière. L’entrée en était cachée derrière une porte sculptée de monstres fantastiques liés par un voile qu’ils enserraient de leurs pattes griffues. L’Impératrice murmura l’incantation nécessaire à l’ouverture puis laissa toute liberté à son invité d’entrer. Le Fils du Soleil vit de prime abord l’immense rideau noir qui devait dissimuler la « chambre » de Yenlui. Il ne s’étonna pas de l’absence du dragon ; les émotions vives qui fusaient dans son esprit étaient parfaitement claire quant au lieu où se trouvait le fils d’Arget. Puis le bruit de l’eau qui s’écoule le fit s’intéresser au reste de la pièce. A deux endroits, des fontaines de coin produisaient ce chant, colorées par des plantes pleines de vie qui embaumaient l’air ambiant. Les murs avaient perdu leur lutte contre les bibliothèques, laissant ces dernières coloniser l’entièreté de leur surface pour supporter le poids de milliers d’ouvrages. A côté, la modeste bibliothèque de l’Elfe faisait figure de boîte à jouets. Et pourtant, toutes les étagères n’étaient pas destinées aux livres ; d’autres étaient le support de flacons, de bouteilles, on y voyait des fleurs séchées, des produits d’alchimie, et plus encore. Le Dragonnier s’approcha, délaissant pour quelques secondes son humeur maussade pour laisser place à la curiosité, mais une présence soudaine le frappa de plein fouet. Son regard se porta vers le rideau noir, et un éclair de compréhension le saisit : l’Eldunari d’Arget était là, à quelques pas, endormi, et cependant lourd de toute sa puissance. Des souvenirs rejaillirent, la lutte dans le temple contre les araignées, quand la dragonne avait perdu tout espoir de survivre et qu’elle leur avait ordonné de partir. Kellran avait bien cru qu’il mourrait ce jour là, dépensant toute son énergie pour brûler les vagues de bestioles à huit pattes avant qu’elles n’atteignent la noble créature affaiblie. C’est ce qui se serait produit si Myad n’était pas revenue le chercher…
« Tout cela pour rien. »
Non, pas pour rien. Grâce à ce geste, Arget avait pu rejoindre le groupe à temps pour ralentir l’araignée géante, suffisamment longtemps pour que Kellran libère Myad de ses liens, et que Djenka… fasse ce qu’elle avait à faire. Mais au final, cela s’était soldé par la mort de la dragonne et de son Dragonnier, le père de Myad, le père de Djenka.
« Rien n’est jamais simple. Et on en revient toujours au même point. La mort nous sourit à tous. »
Il soupira, et se figea lorsqu’il vit le mannequin non loin du lit soutenant un lourd collier orné de deux diamants, l’un noir comme la nuit, l’autre d’un blanc parfait, mais froid, si froid. Le noir exhalait une promesse de douleur, de souffrance, et en même temps de paix, cette paix éternelle qui n’est promise qu’à ceux qui entament leur dernier voyage. L’autre était plus discret, presque endormi, et beaucoup moins facile à interpréter. Myad avait les yeux fixés sur eux ; il y passait comme une sorte de nostalgie sous l’éclat des deux joyaux qui fit frissonner instinctivement le Fils du Soleil.
Ils portaient tous trois une pierre pendue à leur cou par un collier, des pierres différentes pour chacun, qui brillaient à plusieurs mètres à la ronde.
Ils ne mentaient pas. Maintenant que Kellran se trouvait en présence de ces fameuses pierres, il ressentait un malaise qui ne pouvait venir que de la magie. Des pierres magiques, sans aucun doute.
« Sauf qu’il y en a deux, ici. Deux diamants. »
Myad possédait à elle seule deux de ces pierres magiques qui avaient tant marqué les elfes. Cela, nul ne lui avait dit. Quel était donc ce nouveau mystère ? Le Fils du Soleil serra les poings inconsciemment.
« Je ne la connais pas. Je ne sais rien d’elle. Ce n’est que folie ! »
Oui, ce n’était que folie que de l’aimer alors qu’elle était une énigme complète, un mystère insondable. Mais pouvait-il seulement faire autrement ? Elle lui parla, et l’inquiétude qu’il lut dans ses yeux ne faisait que confirmer tout ce qu’il ressentait pour elle, ce qui cherchait maintenant à transparaître comme avant, quand il se sentait libre et heureux, et qui était désormais étouffé sous toute cette couche de noirceur accumulée depuis l’Outreterre. D’assise, elle s’était relevée et tendait les mains à quelques centimètres du visage de l’Elfe, sa peau d’argent brillant de tout son éclat à la lumière du matin. Elle agissait envers lui comme envers un animal blessé, sans brusquerie, sans empressement, avec une patience louable. Un acte que Kellran était fort incapable d’imiter à l’heure actuelle :
- Tout ne se résume pas à la danse du soleil et de la lune, rétorqua-t-il sans douceur.
D’un bref hochement de tête, il autorisa l’Impératrice à le toucher. Il sentait cette part de lui qui mourait d’envie de lui dire qu’il lui appartenait de toute manière, qu’il n’était pas nécessaire qu’elle lui demande l’autorisation. Il écrasa cette envie sans aucune pitié, et, après quelques secondes de contact, se libéra de l’emprise de Myad en se détournant.
- Il n’y a rien que tu puisses faire pour moi. Ces dernières semaines m’ont ouvert les yeux, et mes illusions sont désormais éclipsées par le nuage d’une réalité que j’ai toujours voulu changer.
Un bref rire sans joie fit s’animer son visage, ses abdominaux gonflèrent sous la peau pâle, mettant en avant l’horrible cicatrice. Sa main droite vint caresser les lèvres à vif de la plaie, les bords couverts de croûte de sang séché, noirâtre ; un spectacle horrible, sans aucun doute. Et pourtant, la blessure était saine, contrairement aux premiers jours où elle suppurait une quantité répugnante de pus odorant et de sang infecté. Vraiment, en comparaison, la cicatrice actuelle ressemblait à une gentille petite coupure sans intérêt.
- Je ne suis pas venu pour que tu t’apitoies sur mon sort, poursuivit l’Elfe. Je suis ici pour obtenir des réponses à mes questions.
« Kellran… » murmura sa dragonne d’une voix effrayée. « Non… »
- Je t’ai suivi sans rien connaître de toi. Je t’ai fait confiance aveuglément, et même si je n’ai jamais eu à le regretter, c’était une erreur de ma part. Tout ce que je sais de toi, hormis ton titre, c’est ton nom, et même lui n’est pas totalement vrai, n’est-ce-pas ? Alors qui es-tu, Myad ?
A cet instant, ses yeux avaient plus que jamais l’éclat dur de l’acier inflexible, bien loin de l’or doux et chaud.
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Myad


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Myad
Message Sujet: Re: Le jour & la nuit [PV Kellran] | Ven 12 Oct 2012 - 11:50


La joie très tendre qui envahit le cœur du jeune père n'avait pas de commune mesure avec les petites satisfactions du quotidien. Il ronronnait déjà, de par les effusions d'affection qui lui rendait sa compagne, mais le vrombissement devint plus fort alors qu'il baissait la tête vers le deuxième œuf que Delva avait pondu.

« Bien sûr ! », répondit la femelle d’un sourire. « Comment aurais-je pu laisser notre dragonneau loin de son père ? »

Il y promena délicatement son museau, léger comme une plume alors que ses naseaux auraient pu donner naissance à un brasier aveuglant, réduisant en poussière la forêt autour d'eux.

*Je n'ai pas connu mon père, et ma mère n'a jamais voulu me donner son nom ni son histoire. Elle ne parlait pas de lui, pourtant c'est le premier dragon qu'elle ait aimé. Je crois qu'il est mort, mais j'aurais aimé au moins savoir qui il était. Nos bébés auront plus que cette chance.* Il releva la tête, l'air curieux. *Et toi, as-tu connu tes parents ? Ou bien sais-tu qui ils étaient ?*

Il ignorait à quoi ressemblaient les parents de sa femelle, qui pouvaient donner à leurs petits ces couleurs métalliques. Sa mère étant d'un argent uniforme, et son père – d'après ses suppositions – du même doré que lui, il semblait que leurs enfants aient plutôt pris du côté maternel concernant la génétique. Selon toute probabilité cependant, ils auraient les yeux rouges que portaient leurs géniteurs, ainsi qu'Arget. Yenlui ne se formalisait pas de la ressemblance que pouvaient avoir ses dragonneaux avec lui ; tout ce qui comptait, pour lui, c'était qu'ils choisissent un Dragonnier sage et qu'ils soient heureux. Ses ronronnements s'adoucirent, reprenant une cadence plus discrète alors qu'une pensée assez désagréable lui traversait l'esprit. Arget avait pondu neuf œufs au cours de sa très longue vie. Elle avait vu six de ses enfants lui mourir. Il ne voulait pas vivre ça. Comment sa mère avait pu supporter ces drames, il l'ignorait, mais il doutait de sa capacité à le faire à son tour.

« Quels dragons ? » demanda-t-elle naïvement, de cette manière attendrissante et exaspérante qu'ont les femmes de ne pas voir l'évidente nature des mâles à leurs trousses. « S’il y en a, ils doivent se cacher dans les terriers de lapin ou les nids d’oiseau, car je n’en ai pas vu beaucoup. »
*Tant mieux, à vrai dire* rétorqua Yenlui du même ton à la fois doux mais menaçant, non contre Delva, mais contre tous ceux qui auraient pu s'approcher d'elle en son absence.
« Mais si j’en rencontre, promis, je leur dirai bonjour de ta part. »

La queue de la jolie femelle s'agitait dans un tremblement malicieux tandis que celle de Yenlui, posée sur le sol, se soulevait par intermittence d'un tapotement mécontent. Sa tête penchée sur le côté, semblable à l'expression de Myad en certaines occasions, montrait qu'il était plus amusé par les taquineries de sa compagne que véritablement contrarié. Néanmoins il ne laissa pas de mystère sur ce qu'il pensait de sa proposition.

*Bonne idée. Dis-leur que je les salue, et que je les congédie. Qu'ils te laissent tranquille et oublient tout espoir en ta compagnie. Je t'en prie, n'oublie surtout pas cette dernière partie.*

Le fils d'Arget émit un grognement saccadé semblable à un rire, puis reprit d'un air plus sérieur, frottant doucement sa tête contre l'épaule de sa douce.

*Je souffre tellement de ton absence, de cette injuste séparation qui me prive de toi et t'offre à la vue, au plaisir d'autres dragons. La simple idée que d'autres peuvent profiter du bonheur de ta compagnie me fait mal. Ici, en l'absence de Dark mon amie, ou de Yawë mon apprenti, je m'ennuie à mourir. Et tout ce temps perdu pourrait t'être dédié. Cela, cela me met en colère.* Il s'ébroua, avant d'ajouter *Pardonne-moi de parler de choses désagréables alors que nous devrions nous amuser. Je ronchonne au lieu de gâter ma bien-aimée !* Et il reprit ses caresses, redoublant de tendresse.

*

«- Tout ne se résume pas à la danse du soleil et de la lune, répliqua Kellran d'un ton glacial. »

Les pupilles reptiliennes de l'Impératrice palpitèrent, seul signe extérieur du trouble que faisait naître en elle ce rejet méprisant de ces paroles. Elle conserva le reste de son attitude calme et attentive, à l'affut du moindre coup de patte que le lion malheureux eut pu lui lancer, dans son dégoût du monde, dans son infinie souffrance.
En lieu et place d'une autre rebuffade, Myad obtint l'autorisation silencieuse de le toucher. Un sourire spontané embrasa sa figure d'une lumière soulagée, tandis que ses paumes fraîches se posaient sur les joues de l'elfe. Ses pouces les caressèrent avec la même douceur que celle avec laquelle Yenlui s'était attardé sur ses œufs ; elle approcha son nez pour humer le parfum de son aimé, savourant quelques secondes de partage comme si elles ne devaient plus être réitérées. La demi-drow avait passé ces dernières semaines dans un état émotionnel peu enviable ; entre son inquiétude quant à l'état de faiblesse et de mélancolie de Kellran, elle n'arrivait pas à faire le deuil d'Arget et de son père, n'était pas capable de raisonner correctement en ce qui concernait Djenka et subissait les douleurs extraordinairement violentes de Yenlui. La souveraine avait tenu bon, preuve qu'au bout de plus de soixante-dix ans d'existence, elle qui était Gardienne depuis la naissance finissait par contrôler de mieux en mieux ses émotions brutes. Il valait mieux. Plus le temps passait plus sa patience était mise à rude épreuve, comme une croissante provocation qui la pousserait à l'échec. Sa dernière incarnation en Diamant noir ne s'était pas soldée par une explosion et rien que cela était une miraculeuse réussite... Cependant, présentement, la seule réussite qui lui importait était celle de l'entrevue qu'elle avait avec Kellran. Et qui semblait plutôt compromise.

De façon assez prévisible, le guerrier recula, fuyant ses mains, qui retombèrent docilement le long de ses hanches. Le regard farouche du fauve furieux n'était que calme d'apparence ; l'or sombre de ses prunelles était brûlant de sentiments.

« - Il n’y a rien que tu puisses faire pour moi. Ces dernières semaines m’ont ouvert les yeux, et mes illusions sont désormais éclipsées par le nuage d’une réalité que j’ai toujours voulu changer. »

Myad aurait pu rétorquer que ce genre de désillusion, elle en avait vécu trop pour les compter – récemment, par exemple – mais que ce n'était pas cela qui l'empêchait d'appréhender la réalité telle qu'elle était. Chaque être vivant se promène plus ou moins au hasard dans l'univers, et s'il se perd en chemin, il n'aura qu'à en prendre un autre ; nous souffrons des routes barrées, des compagnons perdus, des voies sur lesquelles nous ne pouvons revenir, mais nous avançons. Nous serons toujours les mêmes. Et le monde également.
Un courant glacial descendit dans ses veines, comme une moquerie, un avertissement.
Non, corrigea-t-elle intérieurement, amère. Le monde change sans cesse, et nous Gardiens en subissons les caprices. Ce sont les êtres vivants qui restent les mêmes.
L'elfe resta silencieuse, ne répondant pas à Kellran qui ne cherchait ni conseil, ni réconfort. Il parlait pour exprimer ce qu'il avait sur le cœur aussi ce que son amante pouvait en penser, il s'en moquait complètement.

« - Je ne suis pas venu pour que tu t’apitoies sur mon sort, reprit le Dragonnier de ce même ton métallique qu'il ne quittait plus. Je suis ici pour obtenir des réponses à mes questions.
- Nous avons toujours des questions. C'est comme cela que nous savons que nous sommes vivants. Elle marqua une pause, croisa les bras, prête à tout entendre. Je t'écoute, Kellran. »

Myad avait parlé sans espoir de réaction ; pensivement, tristement. Elle avait regardé Kellran dans les yeux en disant ces mots, mais ses yeux allaient au-delà de lui, à travers ces souvenirs qu'ils partageaient, et l'ensemble de ses souvenirs en vérité ; dont cette discussion qu'elle avait eu avec Arget des années plus tôt, au sujet de l'immortalité, de la mort, de la vie. De l'agonie.

« - Je t’ai suivie sans rien connaître de toi. Je t’ai fait confiance aveuglément, et même si je n’ai jamais eu à le regretter, c’était une erreur de ma part. Tout ce que je sais de toi, hormis ton titre, c’est ton nom, et même lui n’est pas totalement vrai, n’est-ce-pas ? Alors qui es-tu, Myad ? »

Les prunelles étincelantes du Dragonnier méprisant ne purent percer celles, non moins froides et impersonnelles, dont s'était paré le regard inhumain de la Dragonnière muette. Pendant de longues secondes, ils se toisèrent sans mot dire, lui accusateur, elle indéchiffrable. Lorsque Myad reprit la parole, sa voix paisible, dépourvue de chaleur ou de compassion cette fois, rappelait tristement ses jeunes années, quand l'amour lui était inconnu et la haine une partenaire quotidienne.

« - Et toi, Kellran, qui es-tu ? feula-t-elle, impitoyable cette fois. »

Elle leva une main pour lui intimer le silence au cas où il aurait voulu réagir.

« - Tu as raison sur un point, l'ignorance est notre faute, notre très grande faute. Que savons-nous l'un de l'autre ? Tu es un lointain fils des elfes gris, compagnon de Delva, ami de la Reine Ellenwen ; je suis la bâtarde d'un prince drow et d'une elfe des bois, compagne de Yenlui, demi-soeur de Djenka. Cela m'aurait longtemps suffit. Je n'aime pas interroger les autres sur leur passé parce que je répugne à conter le mien. Mais si cela peut te satisfaire, soit, je le ferai. Ainsi que j'ai accepté de le faire pour mon apprenti qui a eu d'autres manières de me le demander. »

Myad était déçue de se faire ainsi agresser alors qu'elle avait toujours été sincère avec Kellran, et plus que cela, qu'il connaissait plus de choses sur elle qu'elle sur lui. De plus, la simple pensée d'évoquer son histoire la repoussait derrière sa carapace de glace, qu'au fond elle n'aurait dû jamais quitter. Chaque jour qui passe, chaque affection qui la blessait la persuadaient que dans sa jeunesse elle avait eu raison de l'amour mépriser. Les gens amoureux sont les plus faciles à tuer.

« - Assieds-toi. Cela sera long. »

La demi-drow lui montra le lit alors qu'elle s'approchait d'une armoire dont elle ouvrit les pans en ébène ; elle en tira deux coupes en ivoire superbement travaillé et une bouteille d'alcool de fruits. Elle posa le tout sur le lit, se servit à boire et laissa la bouteille à disposition de l'elfe. Une fois sa coupe pleine, elle frôla le liquide d'un doigt, jouant avec la surface de façon machinale.

« - Tu m'interroges sur la véracité de mon nom. Tu te trompes, je m'appelle véritablement Myad. M'Syth Yanth Arec S'Dämoo pour être précise. C'est le nom que mon père m'a donné à la naissance, assez imprononçable pour qu'il donne le surnom Myad. Cependant, ainsi que toute créature dont la venue est annoncée par une prophétie, j'en ai d'autres. Les elfes des bois ont oublié celui qu'ils m'avaient donné lorsqu'ils ont appris ma venue future ; en effet, seuls trois d'entre eux, à ma naissance, s'en souvenaient encore. Le premier époux de ma mère, leur fils, et la Reine qui a précédé Ellenwen. Tous les trois sont morts et je doute qu'ils l'aient transmis à qui que ce soit avant. Les elfes noirs m'appellent Ayahantê. »

Ce mot déclencha un trouble dans l'air ; un frémissement presque imperceptible, une électricité dans l'air, une fluctuation de la température. Le pendentif émit un éclat étrange, discret, avant de reprendre son apparence normale.

« - Ayahantê n'a pas de traduction exacte en langue commune et on ignore sa transcription en ancien langage, bien entendu. Presque personne ne connaît ce nom-ci, hormis les drows bien sûr, même s'ils préfèrent m'appeler par des termes moins mélioratifs. Excepté eux, il n'y a que trois proches à qui je l'ai confié qui osent l'utiliser. Si je devais te donner une explication de ce terme, je dirais que la définition la plus proche est L'Absolue. C'est une déformation du mot M'Ehiatê, qui signifie Le Gardien. »

Myad se tut pour boire une gorgée d'alcool, suite à quoi elle se lécha les lèvres, tel un serpent goûtant l'air. Il n'y avait rien de sensuel là dedans. En évoquant son identité, et son passé, elle était aussi peu amène que Kellran. On sentait dans son âme des cicatrices horribles, des peines encore à vif, des secrets inavouables et rarement avoués. Combien de fois avait-elle regretté de faire confiance à qui que ce soit ? Comment le Fils du Soleil allait-il réagir, sachant qu'il pouvait très bien l'accuser de mensonges ou de trahison, et l'attaquer tout bêtement, pour vérifier ses dires, pour se venger de tout ce mal qui le pesait...
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Kellran


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Kellran
Message Sujet: Re: Le jour & la nuit [PV Kellran] | Jeu 18 Oct 2012 - 18:04


Le toucher de l’Impératrice laissait sa marque sur l’Elfe ; comme une brûlure lancinante, la fraîcheur de ces doigts argentés faisait palpiter ses joues d’une envie douloureuse. Encore, suppliait la peau du Fils du Soleil. Tant de douceur après de nombreuses blessures, un baume salvateur après la fièvre, une démonstration de tendresse et d’amour après la haine. Encore, encore ! Que n’aurait-il donné pour qu’elle appose ses mains sur la blessure à vif sur son torse, pour qu’elle le soigne et le console, qu’ils portent ensemble le deuil des êtres chers désormais perdus, des rêves brisés, de la déception sans cesse croissante. Kellran était conscient – oh, tellement – du fait qu’il n’était pas le seul à souffrir, bien au contraire. Il se souvenait parfaitement que Myad avait perdu son père, en même temps qu’Arget, que Yenlui veillait désormais sous forme d’Eldunari. Des peines immensément plus grandes que celles du Dragonnier. Alors pourquoi ? Pourquoi s’acharnait-il maintenant sur l’Impératrice, crachant son venin au lieu de succomber à ses désirs, de la prendre dans ses bras, d’oublier l’Outreterre ? Par stupidité, sans aucun doute. Il s’était promis qu’il ne cesserait pas de chercher des réponses tant qu’il n’aurait pas découvert son véritable but, sa vraie place dans ce monde mystérieux, une promesse idiote comme tant d’autres faites auparavant. Une fois de plus, il s’attachait à des contraintes qui risquaient de le priver du bonheur qu’il méritait. Une fois de plus…
Et toi, Kellran, qui es-tu ?
La question le prit par surprise, faisant s’écarquiller ses pupilles d’étonnement autant que de dégoût. Oui, qui était-il ? Il ne le savait pas lui-même, et donc, il s’acharnait sur les autres ; pour oublier son trouble, il venait troubler l’une des dernières personnes à qui il avait osé s’attacher. L’Elfe sentit toute énergie le quitter en même temps que cette hargne malsaine qui l’habitait depuis son retour à la surface. Sur l’invitation de l’Impératrice, il prit place sur le lit de forme arrondie sans même remarquer l’alcool de fruits et la coupe en ivoire superbement travaillé qui l’attendait. De guerre lasse, il écouta.

***
Les ronronnements de la dragonne allèrent croissant, au fur et à mesure des paroles prononcées par son aimé, par son mâle, son mâle à elle, celui qu’elle avait choisi, le seul qui ait suscité son intérêt. Et pour cause, la jalousie qui transparaissait dans chaque mot la mettait en joie, l’illuminait, la faisait voler mieux que ses ailes le feraient jamais. La suite avait un goût doux-amer, car Yenlui exprimait les mêmes souffrances qu’elle au fond de son cœur, des souffrances qui, jusqu’à présent, ne pouvaient être allégées que par ces rares moments de bonheur, lorsqu’ils avaient l’occasion de se voir en secret, loin du peuple, loin de la politique, loin des intrigues et des on-dit, juste tous les deux, avec leurs petits encore à éclore, et leur amour brûlant comme un incendie.
« Allons, allons, murmura la dragonne en léchant doucement la joue de son compagnon. Ce n’est qu’une question de temps avant que nos Dragonniers trouvent une solution pour que nous soyons tous réunis. Mais je te promets que je ferai le message aux autres mâles jusqu’à ce que tu puisses le faire toi-même, rajouta-t-elle amoureusement.
Elle se laissa caresser et câliner pendant plusieurs minutes, son bien-être s’exprimant par des yeux clos, une queue agitée de mouvements satisfaits, le sourd grondement de son ventre vibrant de plaisir. Delva soupira, tous sourires, et cligna des yeux, avant de se rappeler la question de son cher et tendre. Elle hésita, convint qu’il était en droit de savoir :
« J’étais déjà orpheline quand j’ai éclot pour Kellran, répondit-elle avec une infime note de tristesse. De ma mère, je ne sais rien… Dragonne sauvage ? Compagne de Dragonnier ? Verte, bleue, rouge ? Rien. Quant à mon père… »
Elle marqua une pause, le temps pour elle de rassembler ses souvenirs. Elle transmit une image de son père à Yenlui, une image que Kellran lui avait transmise lorsqu’il lui avait tout dit sur son géniteur. Le dragon était noir, et massif, avec une musculature impressionnante. Ses ailes, trouées à de mains endroits, le portaient encore dans les cieux d’où pleuvaient gouttes de sang et flammes d’ébène. Le dragon lança sur eux un regard ardent, chargé de souffrance et de folie.
« Il s’appelait Ketsueki. C’était le compagnon d’un Dragonnier errant nommé Loki, qui haïssait mon Dragonnier. »
Delva chercha un contact avec son aimé, frotta son nez contre celui du dragon d’or qu’elle chérissait. Leurs yeux se rencontrèrent, ne se quittèrent plus. Des larmes perlaient sous les paupières de la dragonne.
« Loki avait fraternisé avec des Sorciers. Il a invoqué des esprits pour combattre Kellran, mais a perdu le contrôle. Mon Dragonnier l’a achevé avant qu’il ne se transforme en Ombre ; seulement, la mort de son compagnon plus l’expérience du contact avec des esprits malfaisants a rendu fou Ketsueki. Il s’est enfui, semant la mort sur son passage, jusqu’à ce que Kellran le rattrape pour mettre fin à son calvaire. »
La dragonne eut un hoquet involontaire, dû à la pression qui s’exerçait sur sa gorge malmenée par la tristesse :
« Loki était son fils… »
***

Myad avait fini de parler. Elle se passait la langue sur les lèvres, goûtant les arômes de l’alcool de fruits sans les savourer. Son visage n’exprimait plus ni inquiétude ni sollicitude, juste une froideur polaire, une muraille infranchissable de glace fondée sur des années de vives souffrances. La chair de Kellran s’était couverte de frissons, de petits pétillements de peau communément appelés « chair de poule ». Son manteau en cachait la majeure partie, la cicatrice dissimulait le reste, ce qui empêchait l’Impératrice de déceler la moindre réaction chez le Fils du Soleil. Il resta là, immobile, les yeux dans le vague, faussement désintéressé, mais son cerveau était en ébullition. Les paroles de la demi-drow éveillaient chez lui des informations oubliées, des souvenirs lointains, et bien entendu, de nouvelles questions sans réponse. C’était toujours comme ça ; plus tu cherches à savoir, plus tu te perds dans ta propre ignorance. Le Dragonnier était las désormais, las de s’énerver, las de vouloir comprendre, il se sentait lessivé. Mais les mots dansaient devant ses yeux, les informations assénaient dans son crâne une cacophonie discordante, le forçaient à réfléchir, à se rappeler. Ainsi, la naissance de Myad avait été sujette à prophétie ; ainsi, Islanzadi était détentrice de ce secret ; ainsi, les Elfes avaient une part dans l’histoire de l’Impératrice. Qu’annonçait la prophétie ? Voilà l’une des questions importantes qu’il aurait voulu poser. Mais il avait déjà la réponse, il le sentait.
Ayahantê, l’Absolue.
M'Ehiatê, le Gardien.
Ces deux mots lui laissaient un goût de cendres dans la bouche, un goût de poison, un goût de chaos. M'Syth Yanth Arec S'Dämoo, la Gardienne Absolue. Gardien… qu’est-ce que cela éveillait chez lui ? Il était certain d’avoir déjà entendu parler de cela, lors de sa formation de forgeron à Ellesméra. Il avait déjà entendu les Elfes en parler… non, avant cela ! Chez lui, dans son enfance, parmi les siens. Sur la Crête, dans son peuple, les Elfes Gris en parlaient comme d’une légende, comme d’un mythe, comme d’une… prophétie !

Son regard s’attarda sur les diamants pendus à leur collier, autour du cou du mannequin de présentation. Des joyaux magiques, de vieux mythes oubliés, des prophéties inconnues, des événements improbables, des alliances inattendues. Quel point commun entre tout cela ? Les joyaux magiques, le Fils du Soleil en doutait de moins en moins. Le terme « Gardien » s’appliquait-il à ces pierres ? Un Gardien pour une pierre ? Alors, Charlie et Marek Krayt possédaient-ils également le titre de Gardien ? Et Myad, qui possédait non pas une mais deux pierres ? Etait-ce pour cela qu’elle était nommée l’Absolue ?
« Trêve de questions maintenant ! »
L’Elfe s’empara de la bouteille, se versa une demi-coupe d’alcool de fruits. L’odeur de framboise chatouilla ses narines un peu avant que la liqueur ne franchisse ses lèvres. La boisson descendit le long de sa gorge, s’y taillant un chemin de feu bienvenu. De la liqueur de framboises, du jus de pêches, un arrière-goût de poire. Délicieux. Il fit tournoyer la boisson dans son récipient, négligemment, puis attendit que la surface trouble s’apaise pour y regarder son reflet. Tout ce qu’il y vit, ce fut un fantôme perdu, un être en quête d’un but, d’une identité, d’une utilité. Sa personnalité, à l’heure actuelle, se résumait à trouver des réponses à ses questions. Mais les véritables réponses le concernaient, lui, aussi était-il stupide de s’acharner en questions sur ses proches.
- Pardonne-moi, articula-t-il enfin, après un long silence inconfortable. Il semble que depuis l’Outreterre, je me sois perdu totalement, une fois de plus. Qui suis-je pour te demander des comptes alors que tu as respecté mon passé sans y toucher ?
Et toi, Kellran, qui es-tu ?
Juste un imbécile qui s’acharne à se laisser dominer par ses faiblesses et qui jette sa vie aux orties pour des promesses creuses.
Enfin calmé, le Dragonnier sembla trouver un semblant d’apaisement. Il se passa une main dans les cheveux, l’autre courant machinalement se poser sur la cicatrice. Fugacement, il remarqua que même Ellenwen n’avait pas réussi l’exploit de le mettre face à lui-même par sa seule présence, par de simples mots. Le passé, la déception de Myad l’avaient perturbé plus que la tristesse et l’inquiétude de sa meilleure amie. Comment faisait l’Impératrice pour avoir un tel ascendant sur lui ?
- Tu m’as répondu alors que rien ne t’y obligeait , continua l’Elfe d’un ton radouci, mélancolique. Je te dois la pareille.
Il rassembla ses esprits pendant plusieurs secondes, cherchant en lui le courage d’ouvrir une nouvelle fois des blessures anciennes et jamais vraiment cicatrisées. Par simplicité, il aurait pu lancer son esprit à la rencontre de celui de la Dragonnière, transmettre mentalement les souvenirs de son passé, mais il désirait cette fois les affronter à voix haute, s’exposer à leur douleur par la parole et l’ouïe, se décharger un peu avec la personne pour qui il avait risqué sa vie :
- Je m’appelle Kellran Anàrion, fils de Lhian et Marian Anàrion. Il y a trois siècles, mon peuple, qui s’était exilé sur les hauteurs de la Crête, a été exterminé pour avoir voulu aider une communauté d’Urgals exposée à la haine des hommes. A la tête des assaillants, un mage, un Ombre et un Dragonnier ont uni leur puissance pour venir à bout de nos défenses. Je fus le seul survivant.
D’un trait, il avala le restant de sa coupe sans plus prêter attention au goût fruité ni à la chaleur bienfaisante de l’alcool. En esprit, il revoyait comme si c’était hier sa famille, ses amis, tomber comme des mouches aux côtés de vaillants Urgals, tous condamnés à mourir.
- Une troupe d’Urgals venue de la Crête orientale m’a trouvé, soigné et amené à leurs foyers, où j’ai grandi, apprenant le rudiment du combat et de la forge. Par la suite, j’ai quitté les montagnes en quête de vengeance. J’ai traversé l’Alagaësia, pourchassant ceux qui étaient la cause de mon malheur. Chez les Nains, j’ai parfait ma formation, chez les Elfes, j’ai terminé mon apprentissage auprès de Rhünon-elda, la célèbre forgeronne à qui l’on doit les armes de Dragonnier. J’y ai aussi rencontré mon premier amour, Eléane.
Un pâle sourire étira ses lèvres, lui rendant un semblant d’éclat qui s’effilocha rapidement face aux ombres de sa conscience.
- Elle est morte quelques années après mon départ, d’une grave maladie que même la magie ne pouvait soigner. Egoïstement, j’avais refusé de rester à ses côtés, préférant poursuivre ma quête de vengeance. En vérité, je n’aurais pas supporté de la voir dépérir. J’ai donc vagabondé de ville en ville, glanant des informations, essayant ici et là de réparer des injustices. J’ai rencontré Ellenwen sur ces routes.
Chaque parole faisait remonter des images nettes, piquantes. Il soupira, évacuant le trop-plein de pression qui gonflait en lui.
- Elle m’a pris sous son aile, m’a entraîné au maniement des armes, à la manière elfique. A l’époque, je combattais comme une brute, comme un Urgal… J’avais besoin de cours, d’un maître. Elle m’a présenté Equina, qui m’a initié à la magie. A deux, elles ont façonné un guerrier compétent, capable de vaincre un magicien aguerri. J’ai repris ma traque, découvert l’endroit où logeait le mage, et je l’ai tué. La première étape de ma vengeance était accomplie.
D’une main, il récupéra la bouteille d’alcool et se resservit une coupe.
- La suite attendra. J’en ai déjà suffisamment dit.
Il servit l’Impératrice, s’arrangeant pour croiser son regard. Dans le sien, il n’y avait plus de froideur, juste l’expression d’un être perdu cherchant à se raccrocher à quelque chose.
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Myad


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Le jour & la nuit [PV Kellran] Vide

Myad
Message Sujet: Re: Le jour & la nuit [PV Kellran] | Ven 26 Oct 2012 - 14:13


« Le monde a oublié votre existence. Profitez-en. Restez dans l'ombre, elle offre la tranquillité et la sécurité. Si les elfes se souviennent de vous, si les drows vous trouvent, si les humains vous découvrent, votre vie deviendra un Enfer. »

Ainsi avait parlé son père, il y avait des années de cela, alors que Myad n'avait que vingt ans et qu'il venait seulement de réussir à obtenir sa confiance. Elle avait vécu comme un animal, courant les fleuves et les forêts, pendant plus de huit ans avant de le croiser, lui, son géniteur, premier être intelligent à s'intéresser à elle. A essayer de l'apprivoiser. Cela prit beaucoup de temps ; la toute jeune elfe ayant oublié comment parler, enterré soigneusement toute forme de communication assumée avec les bipèdes, et tué bon nombre d'entre eux sans sourciller, Athor dut déployer des trésors de patience – et compter sur Arget, son perpétuel apaisement – pour conquérir ne serait-ce que la curiosité de sa fille. Lorsqu'enfin la créature avait su parler, ils avaient eu une discussion sur les Gardiens, lui expliquant ce qu'elle était, ce qu'elle et ses frères seraient une fois qu'ils les auraient révélés. Ces souvenirs infiniment précieux ne lui avaient été rendus que récemment, après que deux brutales amnésies aient lavé successivement son esprit de toute forme de mémoire. La mémoire. Cadeau, poison. Myad souffrait en revivant ces souvenirs, cependant c'était une douleur supportable en comparaison du chagrin qu'elle avait pu ressentir en ne trouvant que du vide dans les méandres de son cerveau. Elle avait enfin des restes d'enfance, des événements marquants, elle se souvenait des premières caresses de ses doigts glacés sur sa pommette, elle se remémorait l'admiration suprême que la sublime dragonne lui avait inspirée. Trésor parmi les trésors – ou fardeau parmi les fardeaux – les deux Diamants s'étaient mis à diffuser dans sa conscience la mémoire de ses propres parents, voir parfois de Gardiens dont elle ne savait rien. Ces confessions intemporelles ne faisaient que confirmer les conseils du défunt Prince d'Outreterre ; s'ils étaient connus en tant que quels, les Gardiens étaient irrémédiablement détruits par les créatures qui les entouraient. Que leur entourage les pousse au meurtre, à la folie ou au suicide, que des expériences soient menés sur eux, que l'on les pousse par le chantage à prendre position ou à obéir à un maître unique, ils étaient victimes de la fascination qu'ils inspiraient aux autres. Les humains surtout.

Myad avait en effet découvert avec un mélange de soulagement et d'appréhension qu'autrefois, les elfes vouaient un culte tout particulier à ces porteurs de puissances supérieures. Ils les honoraient encore, semblait-il, de façon subtile et inconsciente. Ellenwen, mais aussi ses congénères, ne mettraient pas des siècles à faire le lien entre des mythes lointains et la promenade improbable de trois individus décorés de gemmes magiques. A cette pensée, l'elfe sentit son cœur se pincer méchamment. Qu'est-ce qui lui avait pris, bon sang ? En temps normal, jamais elle ne se serait permis une telle exhibition, pas avec le Diamant blanc étincelant tel un soleil blanc à son cou, pas avec son ennemi officiel et le protecteur d'une faction censée rester neutre. Elle se souvenait de cette vague incontrôlable d'amour, de paix, de générosité, qui envahissant son cœur en un raz de marée avait balayé toute forme de prudence ou de modération. Elle aussi regarda le pendentif sagement posé sur le mannequin, mais pour lui lancer une oeillade mécontente. Il lui sembla percevoir comme de l'amusement en retour, ce qui l'agaça encore plus. Bientôt, les elfes comprendraient. Bientôt, ils lui demanderaient des comptes, ainsi qu'à Marek, à Charlie, et à Max et Lise quand elle les auraient révélés. Seraient-ils, à l'instar des Dragonniers, sommés de quitter leurs clans respectifs pour ne former qu'une entité neutre ? C'était impossible. Ils ne pouvaient se défaire de leurs responsabilités, de leurs choix, de leurs projets, pas plus que de leurs identités.

Et Kellran ? Il serait plus prompt que les autres à faire le lien, parce qu'il revenait d'Outreterre, où les Gardiens n'avaient pas été du tout oubliés. Leur souvenir y était trop douloureusement gravé. Il n'y avait qu'à voir cette façon intense qu'il avait de toiser le pendentif mystérieux, de le fixer comme pour en arracher les secrets de milliers de doigts invisibles. L'Impératrice était prête à le retenir s'il faisait mine de vouloir essayer, avec ses vrais doigts ou avec son esprit. La seule personne autorisée à le toucher était sa porteuse ; éventuellement un autre Gardien, si elle décédait, pour le transmettre à son suivant. Les pierres avaient des façons quelque peu brutales de se protéger des intrus, et elle n'avait pas envie que son amant puisse y goûter.
Toutefois, ce sentiment d'inquiétude qui compressait sa poitrine n'était pas lié à ce risque direct. C'était plutôt la réaction que son amant aurait en apprenant l'intégrité de son rôle, de son passé qu'elle redoutait ; risquait-elle de le perdre ? Jamais elle ne lui refuserait la vérité, mais sa haine lui semblait un coût trop cher payé.

Finalement, le Dragonnier détourna la tête sans faire un seul commentaire. Myad l'observa se servir à boire comme s'il s'agissait d'un sous-sol grondant le tonnerre, prêt à vomir un geyser de lave d'un moment à l'autre. Il n'en fut rien ; après avoir bu une longue gorgée de l'alcool de fruits, il plongea pensivement ses yeux dans le liquide ambré. Quelles questions lui posa-t-il, et quelles réponses reçut-il en retour, elle ne le saurait jamais. Toujours est-il que le guerrier, après un silence à couper au couteau, se décida à prendre la parole.

- Pardonne-moi. Il semble que depuis l’Outreterre, je me sois perdu totalement, une fois de plus. Qui suis-je pour te demander des comptes alors que tu as respecté mon passé sans y toucher ?

Un sourire lumineux naquit sur le visage de son interlocutrice, doux et chaux comme les premiers rayons de soleil printanier caressant la neige. Kellran passa une main dans ses longs cheveux, autrefois d'un toucher de soie, aujourd'hui fragiles, cassants. Il avait grand besoin de se purifier l'esprit ; cicatrice au torse ou pas, ce n'était pas là qu'il avait omis de se désinfecter. Elle sentait la pourriture du doute, du désespoir, du désarroi comme une lourde pulsation dans son aura.
Myad savait qu'il n'en avait pas fini, qu'il n'avait fait que prononcer une question rhétorique. Elle le laissa donc continuer, d'autant plus soulagée que sa voix quoique triste, avait perdu ses tonalités métalliques.

- Tu m’as répondu alors que rien ne t’y obligeait. Je te dois la pareille.

Ayahantê écarquilla légèrement les yeux, étonnée ; elle allait lui dire de s'abstenir, l'inviter à remettre ses confessions à un jour moins funeste... Mais en le voyant ainsi, déterminé à se racheter, à se dévoiler comme elle venait de le faire, la souveraine se retint. Le Fils du Soleil semblait se donner beaucoup de mal pour faire remonter sa mémoire et à la transformer en mots, à l'instar d'un métal maudit qu'il devrait frapper pour en faire un ouvrage d'art. Ce travail était une preuve de confiance et d'amour qu'elle acceptait et respectait en tant que telle.

- Je m’appelle Kellran Anàrion, fils de Lhian et Marian Anàrion. Il y a trois siècles, mon peuple, qui s’était exilé sur les hauteurs de la Crête, a été exterminé pour avoir voulu aider une communauté d’Urgals exposée à la haine des hommes. A la tête des assaillants, un mage, un Ombre et un Dragonnier ont uni leur puissance pour venir à bout de nos défenses. Je fus le seul survivant.

La première pensée qui traversa l'esprit de la Dragonnière fut : 300 ans ! Elle n'avait pas le tiers de son âge. Voilà un constat assez amusant. Cela confirmait l'idée que, selon son vécu, un individu se forge une sagesse différente, de rapidité, de durabilité et de consistance uniques. Ils semblaient sensiblement aussi vieux l'un que l'autre.
Hasard qu'il n'avait pas été au courant de la prophétie la concernant. Après réflexion, la Gardienne songea qu'un nomade tel que Kellran – revenu récemment des Terres Lointaines – pouvait très bien être passé à côté. Tant mieux. Elle n'avait aucune idée de ce qu'il aurait dit, fait ou choisi en connaissance de cause.
Cette amère première déclaration poussa le Dragonnier à gober le reste de sa coupe, sans plaisir, alors que Myad en prenait une lente gorgée. Il irradiait d'images mal vécues, de sensations non digérés. La vengeance, devina-t-elle tristement. Le bonheur brisé, la solitude. Un peuple à venger. Cela lui rappela l'épopée de Charlie, à la différence que lui n'avait eu qu'un seul adversaire à faire tomber. Kellran, lui, avait dû courir après trois fantômes... Et non des moindres, sans doute.

- Une troupe d’Urgals venue de la Crête orientale m’a trouvé, soigné et amené à leurs foyers, où j’ai grandi, apprenant le rudiment du combat et de la forge. Par la suite, j’ai quitté les montagnes en quête de vengeance. J’ai traversé l’Alagaësia, pourchassant ceux qui étaient la cause de mon malheur. Chez les Nains, j’ai parfait ma formation, chez les Elfes, j’ai terminé mon apprentissage auprès de Rhünon-elda, la célèbre forgeronne à qui l’on doit les armes de Dragonnier. J’y ai aussi rencontré mon premier amour, Eléane.

L'hybride lui rendit son sourire. Elle n'était pas jalouse des morts, qui ne revenaient jamais – elle était bien placée pour le savoir. Mais il était aussi triste que celui de son amant ; tous deux avaient aimé et perdu, la faute à qui, qui sait ? Pour eux qui livraient si durement leur tendresse, cette perte était une trahison, une horrible déception.
Elle remarqua qu'ils avaient également un parcours similaire ; elle qui avait bourlingué avec les nains pendant des années, côtoyé quelques Urgals, vécu au milieu des humains et jamais parmi les siens. Ils s'étaient forgés eux-mêmes, par les multiples cultures qu'ils avaient intégrées.

- Elle est morte quelques années après mon départ, d’une grave maladie que même la magie ne pouvait soigner. Egoïstement, j’avais refusé de rester à ses côtés, préférant poursuivre ma quête de vengeance. En vérité, je n’aurais pas supporté de la voir dépérir. J’ai donc vagabondé de ville en ville, glanant des informations, essayant ici et là de réparer des injustices. J’ai rencontré Ellenwen sur ces routes.

Myad ne disait toujours rien, enregistrant simplement les informations sans se défaire d'une expression aussi calme qu'attentive.

- Elle m’a pris sous son aile, m’a entraîné au maniement des armes, à la manière elfique. A l’époque, je combattais comme une brute, comme un Urgal… J’avais besoin de cours, d’un maître. Elle m’a présenté Equina, qui m’a initié à la magie. A deux, elles ont façonné un guerrier compétent, capable de vaincre un magicien aguerri. J’ai repris ma traque, découvert l’endroit où logeait le mage, et je l’ai tué. La première étape de ma vengeance était accomplie.

Cette phrase sentait la fin, de chapitre du moins ; Myad était un peu frustrée de n'avoir qu'une petite parcelle de cette passionnante histoire – qui ne pouvait que la passionner, car elle lui faisait aimer encore plus celui qu'elle adorait déjà – mais elle dompta une curiosité naturelle pour la remplacer par de la satisfaction. Oui, elle était vraiment contente qu'il se soit ouvert à elle, alors que des excuses lui auraient suffi.

- La suite attendra. J’en ai déjà suffisamment dit.

Il remplit sa coupe, en profitant pour cueillir ses yeux avec autant de délicatesse, de prudence que s'il eut s'agit de fleur vénéneuse. En l'examinant plus attentivement, Myad comprit qu'il guettait sa réaction, par rapport à ses confessions, son comportement. Il désirait son pardon, quoi qu'il l'avait déjà obtenu. La souveraine posa les mains sur la table basse, puis, gracieux cygne, elle se haussa jusqu'à lui pour l'embrasser.
Toutes ces heures passées à regretter de ne pas lui en avoir plus donné. Toutes ces nuits où elle aurait voulu voir sa silhouette, juste son ombre, près d'elle. Entendre son souffle soulever paisiblement son torse puissant ; caresser ses biceps, embrasser sa nuque, là où la peau était si douce qu'elle paraissait n'avoir été faite que pour accueillir des baisers. Tous ces hommes qui la dévoraient des yeux sans que ses yeux ne les mordent qu'avec agressivité. Elle était à lui, dès l'instant où leurs dragons avaient échaudé leurs chairs pour les précipiter dans un abîme qui les aurait fatalement avalés, et jusqu'à ce quelque chose réussisse à les séparer. Brûlée par son propre désir, l'Impératrice oublia toutes les paroles qu'elle aurait pu prononcer pour dire n'importe quoi et prit le visage de son aimé entre ses mains pour prolonger ses baisers. Elle se repaissait de lui sans avoir l'air de se rassasier d'aucune façon, sa chair frémissant curieusement alors qu'elle avait si chaud. La Gardienne rouvrit les yeux, reculant pour mieux dévisager son elfe, son Kellran, lui offrant la vision unique de ses pupilles reptiliennes si dilatées qu'elles en étaient rondes ; un cerceau rouge sang entourant la preuve de son besoin virulent de lui, le Fils du Soleil.

« - Tu as raison, murmura-t-elle alors. Nous en avons assez dit pour le moment. »

Et elle enjamba la table pour le pousser sur le lit, d'un geste doux mais ferme, couchant son amant sur les fourrures les plus confortables qui soient avant de se couler au-dessus de lui, oiseau curieux. Ses lèvres se promenèrent partout où la peau de l'elfe les appelaient ; ses interminables cheveux noirs frôlaient l'abdomen de l'elfe en une caresse malicieuse.
Ayahantê s'arrêta toutefois ses effusions pour s'asseoir sur ses hanches, souriante certes, mais attentive. Ses prunelles perdirent un peu de leurs braises pour se parer d'un éclat aiguisé. Elle passa un doigt le long de la plaie encore fort vilaine de son amant. Se pencha pour l'examiner. Finalement, lorsqu'elle se redressa, l'elfe adressa un sourire taquin à celui qu'elle tenait entre ses cuisses.

« - Je ne peux décemment pas chevaucher un homme blessé, chuchota-t-elle d'un ton faussement innocent. Laisse-moi purifier ta blessure. Je te promets que je n'utiliserai pas de magie et n’accélérerai pas le processus de guérison. Je me contenterai de t'ôter les substances nocives que ces engeances de Lolth ont pris le temps de te faire ingérer pour t'empêcher de cicatriser. »

N'attendant pas de réponse – Myad savait lire la permission et l'impatience d'un homme pressé d'en finir – l'elfe de sang-mêlé se leva d'un bond agile et se mit à fureter dans la chambre. Une dizaine de secondes plus tard, la demi-drow posait des ampoules, de la gaze blanche, des aiguilles et du fil à côté de lui. Elle l'embrassa tendrement, comme pour le consoler de devoir attendre... Ou le remercier d'être patient.

« - Cela ne va pas te faire du bien, le prévint-elle. » Mais elle connaissait suffisamment Kellran pour savoir qu'ils s'accordaient sur la valeur de l'enseignement prodigué par la douleur.

Avec des mouvements précis, lestes et indolores, l'Errante mouilla la plaie d'un liquide froid, fluide, qui émit un sifflement et moussa en prenant une couleur vert vif. Myad grimaça, une grimace victorieuse mais prédatrice, qui s'adressait directement à ceux qui avaient attenté à la vie de son homme. Elle ôta la mousse qu'elle fit brûler d'un sort prononcé à voix basse ; elle étala une pâte gluante sur les bords de la plaie pour stimuler le processus d'épuration et de cicatrisation avant de prendre le fil, l'aiguille... Et de recoudre. Kellran, en soldat, en elfe, en courageux, supporta l'épreuve sans hurler ni gesticuler. Lorsqu'elle reposa ses ustensiles, Myad contempla son œuvre avec une certaine fierté.

« - Comme neuf ! dit elle, et elle éclata de rire.
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Le jour & la nuit [PV Kellran] Vide

Kellran
Message Sujet: Re: Le jour & la nuit [PV Kellran] | Ven 23 Nov 2012 - 17:34


Il aurait pu continuer, poursuivre son récit, vider son sac, comme disaient les humains lorsqu’ils désiraient raconter leur histoire. Pour lui, il s’agissait plutôt de vider un abcès, un gros, un énorme abcès empoisonné. Il aurait pu. Mais cela aurait signifié raconter l’épisode Whedon, sa grande honte, son plus grand échec. Comment lui dire en face qu’il était devenu un psychopathe avide de sang et de massacres, instigateur de conflits, désireux d’une guerre entre les factions anciennes d’Alagaësia. Cela faisait plus d’un siècle, presque deux, mais son erreur était toujours brûlante. De ces jours maudits, seuls quelques-uns s’en souvenaient encore. Parmi les humains, bien peu étaient encore en vie. Mais chez les Elfes…
« Il n’y en a plus beaucoup non plus, heureusement. »
Ellenwen, Equina chez les Elfes, Max parmi les humains. Que des amis, qui lui avaient pardonné sa folie. Tant d’autres disparus. Phoenix, Lilie… Qui d’autre ? Il n’en savait rien. Un jour, il raconterait à Myad cette part sombre de son existence. Mais pas aujourd’hui. Alors, elle saurait que ce qu’elle avait entraperçu, cette vague forme de folie, cette faible perte d’identité, n’était rien en comparaison de la naissance de Whedon, le Phénix Sanglant, le meurtrier à la faux. Là, il n’était qu’un être cherchant son but, une finalité à sa vie, un chemin dans le monde. Perdu, oui, mais conscient de son identité et de son parcours. A l’époque, il n’était plus rien. Il avait rejeté son identité, oublié ses convictions, et laissé son amour se muer en haine. A l’époque, il aurait véritablement effrayé l’Impératrice, car celle-ci l’aurait connu avant sa transformation. Seule Lilie avait eu le pouvoir de le ramener, car elle n’avait d’abord vu en lui qu’un adversaire à battre.
« Comme tout peut basculer du jour au lendemain. Elle est si mince, la frontière entre héros et monstre. »
Le reste de ses pensées se perdit dans le feu d’un baiser inattendu. Inattendu et enflammé. Les lèvres de l’Impératrice se collèrent à celles de l’Elfe, lui rappelant un désir qu’il avait cherché à étouffer depuis plusieurs mois. Qu’elle lui avait manqué, elle et son charme irrésistible, le parfum entêtant de sa peau d’argent, l’éclat de ses yeux si atypiques, dilatés par la passion. Tant de jours loin d’elle, à souffrir de cette séparation, de la distance entre eux. Et l’Outreterre, qui les avait réunis sans leur offrir une seule minute de réconfort. Cruelle torture, empirée par la peur, la douleur et le sacrifice. Où étaient cette hargne, cette absence de sentiments qui l’avaient poussé à venir chez l’Impératrice uniquement par souci de réponses, de connaissances, d’explications ? Envolées ! Ne restait que le simple désir de prendre cette femme aimée dans ses bras et d’oublier le monde extérieur.
« Comme elle est mince, la frontière entre froideur et passion dévorante. L’amour rend si faible et si fort à la fois. »

Désormais soumis à la volonté de son hôtesse, il se laissa coucher par elle sur le lit couvert de fourrures chaudes et confortables, dominé par la demi-drow qui l’emprisonnait de ses cuisses fermes et musclées, couvrant son corps de doux baisers, éveillant en lui un manque soudain, une envie impérieuse. Non, il n’était plus temps de se perdre en vaines paroles. Mieux valait se perdre sous les caresses de l’opulente chevelure sur sa peau nue, qui lui arrachait des frissons incontrôlables, couvrait son épiderme d’une chair de poule délicieuse. Myad n’était sans doute pas la plus experte séductrice et tentatrice de l’Alagaësia, mais pour Kellran, elle était la plus fascinante, la plus attirante femme qu’il ait connu, éclipsant toutes les autres. Devant elle seule, il se sentait capable de plier l’échine, de ployer le genou, de remettre pleinement et totalement sa vie entre les douces mains d’argent. La suite lui donnerait raison.
Le regard de l’Impératrice se fit sévère, ses doigts détaillèrent la plaie qui déchirait son torse musclé. Un sourire étira ses lèvres tandis qu’elle secouait la tête et lui annonçait clairement qu’elle ne pouvait pas accepter de le laisser dans cet état. Kellran soupira, sans trouver la force de refuser. Il avait fait un pas vers la guérison de son âme, en étouffant sa rage et son sentiment de révolte pour ne conserver que sa quête de vérité. Cela méritait bien de purifier cette blessure héritée du monde souterrain. Le Dragonnier acquiesça, exprimant son accord, bien que l’Impératrice l’ait déjà compris. S’il avait fait mine de refuser, l’aurait-elle forcé ? Se serait-elle détournée, dégoûtée ? Aurait-elle compris ses raisons ? Les questions ne se posaient plus, car il se soumettait.
- Ce n’est pas de Lolth qu’est venu le danger, mais de la rébellion des mâles en Outreterre.
Il ne savait encore que penser de ce sujet. Sans le vouloir, il s’était retrouvé entraîné dans le conflit entre Djenka et les rebelles, capturé par le chef de ceux-ci, torturé, blessé. Il avait combattu, il avait tué, il avait mis fin à la rébellion. Pourquoi ? Parce qu’il n’avait pas eu d’autre choix. Soit il se battait, soit il mourait. Et cette absence de choix le malmenait, car au final, il ne savait pas si son action se révélerait bénéfique. Après tout, les mâles d’Outreterre, asservis par les femelles toutes-puissantes, méritaient qu’on les traite en semblables, non en esclaves, reproducteurs, ouvriers, ou autres formes de travailleurs juste bons à s’échiner sous la tâche. Il espérait vraiment que Djenka changerait cela, accorderait aux mâles le respect, pour éviter de nouveaux désordres. La prochaine fois, il n’était pas certain de prendre le parti de la Dragonnière, si tant est qu’il prenne parti.

Myad fouillait dans la chambre, récupérant ci et là le matériel destiné à le soigner, qu’elle posa à côté de lui sur une table. Gaze stérile, fil et aiguilles, ainsi que des fioles de désinfectant, l’équipement parfait du chirurgien de terrain, capable de soigner au mieux une blessure en milieu hostile ou inhospitalier. Que Myad ait accès à un semblable matériel dans ses appartements était une preuve de son intelligence et de sa prévoyance. Revenue à ses côtés, elle le prévint que cela risquait d’être douloureux. Kellran répondit d’un pâle sourire ; cela ne pouvait pas être plus douloureux que les premiers jours passés à subir cette horrible blessure, lorsque la magie de l’arme qui l’avait entaillé avait commencé à dévorer ses chairs, à altérer ses cellules, à empoisonner son sang. La douleur l’avait presque rendu fou. La demi-drow l’embrassa, pour effacer ces mauvais souvenirs.
Il sursauta au contact d’un liquide visqueux, glacé, qui imbiba la chair à vif de sa plaie. La réaction ne se fit pas attendre : le liquide moussa, devenant d’un vert vif, malsain, arrachant une grimace de dégoût à l’Elfe. Des sensations de brûlure et de glace se mêlèrent, suivies de picotements désagréables. La douleur disparut peu à peu, tandis que l’Impératrice expédiait la mousse dans le néant d’un sort. Le reste n’était que formalités ; elle nettoya les bords de la plaie avec une pâte dont Kellran ne connaissait pas la composition, prit le fil et l’aiguille pour un petit travail de rafistolage employé depuis la naissance de la médecine. Au final, il ne restait de la blessure qu’une longue et fine cicatrice gonflée, saucissonnée par un fil solide. Le rire de la demi-drow enchanta les oreilles de l’Elfe.
Comme neuf !
Pas tout à fait, aurait voulu répliquer le Dragonnier, mais au final, il s’en moquait. Désormais, seul le temps exercerait son œuvre de guérison. Avec de la chance, son esprit, ses espoirs, ses rêves également seraient soignés. Mais auparavant…
Il entoura d’un bras la taille de l’Impératrice et la fit basculer sous lui, dans un mouvement vif et plein de grâce qui ne pouvait être effectué que par un elfe. Il laissa son visage s’égarer dans le creux de sa nuque, là où la peau et les cheveux formaient un cocon si confortable qu’il en était irrésistible. Les rôles étaient inversés à présent ; c’était l’Impératrice qui se trouvait emprisonnée par des jambes bien décidées à ne pas la laisser s’échapper. Et c’est Kellran qui, maintenant, prenait plaisir à goûter de ses lèvres la peau de la demi-drow.
- Tu m’as manqué, murmura-t-il d’une voix rauque. Trop pour mon propre bien.
Autrement dit, il était inacceptable qu’ils restent séparés si longtemps. Le message était clair. D’un baiser, il scella sa déclaration.
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