Un grand vent, une tornade de feu qui se mua presque immédiatement en torrent d’eau et voilà qu’au centre se trouvait un individu d’or et de rouge vêtu. Espérance lui adressa un clin d’œil accompagné de ses deux pouces levés. A moins que ce ne fut à l’adresse d’un Winitran plus tendu encore que la corde d’une arbalète chargée. Qu’aurait-il pu déduire de ce charivari, lui qui n’en avait perçu que le son et la note dissonante d’un violon à l’agonie ? Allait-il se précipiter ver le nouveau venu, glisser sur les flaques et se suspendre à son cou ?

Malheureusement, la réponse fut une éloquente affirmation qui lui valut une mimique effarée d’Espérance. L’espace d’une seconde, elle hésita,  se balança d’un pied sur l’autre pour finalement se tourner vers Korann. Où en étaient-ils déjà ? Ah oui, danser. Se laisser guider corps et âme. Laisser son esprit s’envoler par delà ce triste monde le temps d’une valse. Oublier pour mieux goûter l’instant d’après…

«Tu danses bien ! », lui glissa-t-elle, avec un sourire malicieux. «Est-ce qu’on danse aussi comme ça par chez toi ? Ou est-ce que c’est plus… sportif ? »

Et la jeune femme d’implorer du regard une démonstrations de danse, de celle que l’on dansait par delà les mers.

La danse se poursuivait, lente, réconfortante, quand la bulle de calme et de silence dans laquelle Ellenwen se sentait plongée éclata brutalement. L'homme qui venait d'apparaître au milieu de la foule, avec une imprudence folle, avait su créer le vide autour de lui. Les flammes froides qui s'élevaient autour de lui, la brume qui l'entourait, avaient effrayé les fêtards qui se bousculaient autour du musicien, sur la petite place trop étroite pour contenir une si grande foule. Le mouvement de panique avait balayé la foule, bousculant les uns et les autres, à la manière de vagues concentriques. Entrainée par Laïaga, poussée à droite et à gauche, Ellenwen vient s'effondrer aux pieds du musicien. Un peu désorientée, perdue, elle se redressa en grimaçant, à nouveau sur ses gardes. Un regard en coin lui apprit que nul incident autre n'était survenu. Nul assassinat imprévu. Nul débarquement de Premiers Hommes. Et quand à l'identité du nouveau venu, elle ne laissa aucun doute. Elle échangea un regard avec Laïaga, leva les yeux au ciel, se cacha les yeux de sa main et secoua la tête. Elle se sentait... dépassée... Seule la déconvenue du mage, ruisselant d'eau, lui arracha un sourire et lui permit de retrouver sa bonne humeur.

Délaissant son compagnon, l'elfe se dirigea vers le magicien du feu, se glissant à travers la foule jusqu'à lui. Elle se sentait à la fois en colère - il aurait pu et pouvait encore attirer toute la garde de la ville jusqu'ici - inquiète - jouer avec la magie devenait plus danger que jamais - et légèrement amusée par la situation. Au moins, malgré la guerre, quelque chose ne changeait pas. Le goût de Marek pour la mise en scène serait éternel. Elle leva à nouveau les yeux au ciel en apercevant sa tentative - ratée à entendre tous les murmures qui s'élevait - de cacher son identité par un masque. Arrivée, elle se dressa sur la pointe des pieds et lui donna une petite tape amicale sur l'arrière de la tête.

- Idiot !

Simple, efficace et peu méchant, malgré les circonstances.

- Tu n'as donc pas appris qu'il ne faut pas jouer avec la magie ? A moins que tes enfants ne te fasse retourner en enfance.

Un sourire éclaira son visage, jusque là tendu. L'évocation des enfants chassaient de son esprit les craintes de voir les forces armées débarquer, la corruption réagir à l'utilisation de la magie par l'une de ces farces burlesques et effrayantes dont elle avait le secret. Elle parvenait à retrouver à nouveau le calme et le plaisir que ces quelques instants de fête volés au chaos.

Elle s'apprêtait à demander davantage de ses nouvelles à l'ancien dragonnier lorsque la perception d'un esprit bien connu la fit se retourner, radieuse. Attrapant Marek par la main, elle l'entraina à sa suite vers Akkan et la splendide drow aux yeux dorés qui venait de se manifester à ses côtés.

- Akkan ! Djenka !

Son sourire s'élargit encore lorsqu'elle perçut le regard que les deux échangèrent. Elle se sentait bouleversée et heureuse de voir ce nouveau couple, côte à côte. Akkan avait enfin dépassé sa timidité des femmes et elle savait qu'il n'aurait pu mieux choisir que celle qui se tenait à ses côtés. Redoutable, dangereuse, intrigante et inquiétante... le cocktail parfait pour lutter contre l'ennui et la morosité.

- Heureuse de vous revoir !

Elle se jeta au cou de son apprenti, et l'embrassa sur la joue en un baiser sonore, avant de pousser un petit cri de surprise, en voyant un jeune dragon apparaitre sur sa peau et se percher sur l'épaule de la drow. Elle recula d'un pas, toujours aussi peu à l'aise avec les représentants de sa race.

Ah oui. Un détail, un seul, que le Gardien du Feu avait oublié. Après avoir passé trop de temps dans le sud, sous la protection relative du Manoir et à l'écart de la corruption, il en avait oublié à quel point la magie était devenu erratique. Même le feu, dont il était pourtant le Gardien, semblait lui échappé. Ce retour à la réalité lui fit l'effet d'une douche froide, au sens propre du terme pour le coup.

Il resta groggy un moment, avant qu'une tape sur le crâne le ramène à la réalité. Ellenwen... Bien sûr. Qui d'autre pour le taquiner ainsi? L'elfe parvint à lui arracher un sourire sous son masque.

"Disons que Siana compense le calme légendaire de son frère."

Les yeux de Marek s'illuminèrent de rouge derrière son masque. L'eau autour de lui s'évapora, créant une brume telle une fumée de discothèque. Ça, les perturbations ne pouvait rien y faire. Réaction chimique simple: son corps de Gardien chauffé à blanc, l'eau s'évaporait.

Sa température redevint normale, juste à temps car Ellenwen l'attrapa pour l'entraîner à la suite de Laïaga vers un couple inattendu. Djenka et Akkan? Ensemble? Et bien, c'était une surprise. Presque plus grande que le petit dragon qui vint se poser sur l'épaule de la drow.

"Akkan! Djenka! C'est un plaisir de vous revoir. Surtout toi Djenka, ça fait si longtemps... C'est un des bébés de Dark qui vous accompagne?"

Et puis il sentit un regard posé dans son dos. Vous savez, ce genre d'intuition qu'on ne sait pas d'où elle vient. L'impression qu'on vous obverse. Il tourna la tête vers le buffet. Une jeune fille au visage familier et pourtant inconnu les regardait. Ses yeux exprimaient une immense tristesse. Etonnant dans une fête... Ses yeux.... Ce bleu particulier... Etait-ce... ? Il devait en avoir le cœur net. Se retournant vers les autres, il essaya de suivre la conversation tout en laissant partir son esprit vers la demoiselle. Il tourna autour du sien. Il était protégé, mais il ne comptait pas attaquer. Il venait juste... Rendre visite. Il envoya une phrase. Une seule. Chargé d'une amitié de longue date.

*Je ne savais pas que les morts avaient besoin de boire.*

“ Oh ! ”, fit Espérance, ses lèvres esquissant le début d’une moue boudeuse. Puis, sans crier gare, son regard cessa de vriller celui de Korann pour se perdre dans le lointain. Ils virent le Premier Homme se déhancher furieusement au son de tambours et enchainer une série de sauts tous plus acrobatiques les uns que les autres tout en jonglant avec des haches. Attirées par cette danse, l’une vint alors s’inviter. Venue de nulle part, son fer étincelant à la lueur des étoiles, elle fendit l’air frais en la plus courbe des droites…

Alors que les flacons s’invitaient dans sa rêverie, Espérance rejoignit cette réalité-ci et la chaleur de la présence de Korann. Le courant d’air provoqué par l’entrée d’un énième convive la fit définitivement redescendre sur le petit nuage où son cavalier l’avait amené. Elle lui mit alors le doigt sur le front.

“ Tout va bien ? ”, s’inquiéta-t-elle,“ Tu as l’air soucieux. J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Oh, attend, j’ai ce qu’il te faut !”

Sans meme lui laisser le temps de protester ou de répondre quoi que ce soit, elle se dégagea gracieusement de son étreinte pour aller jusqu’au buffet. Elle y discuta quelques instants avec Winitran puis revint vers Korann, une coupe dans chaque main et une pile de macarons en équilibre instable sur chacune d'entre elle. Elle lui en tendit une, dont le liquide doré était parsemé de bulles qui n’en finissaient pas de remonter.

“ Voilà pour toi ! ”, lui annonça-t-elle, guillerette, “ Tes soucis s’en iront comme les bulles ! ”

L’entropie régnait en maitresse absolue d’Uru’Baen. Ses habitants n’avaient que trop bien retenue cette leçon, apprise à la dure. Les magiciens auraient du le faire mais l’ivresse de la fête les avaient rendus bien trop téméraires. A trop jouer avec le feu, ils avaient éveillé son avatar et celui-ci se révélait d’une humeur bien facétieuse en cette nuit-là. Non content d’avoir douché les ardeurs du Gardien du Feu, le voilà tout disposé à faire des siennes à nouveau.

Ainsi, l’Aléa fût, à l’instant même où une jeune demoiselle s’essayait à changer son apparence par le biais de la magie. Cela commença au cœur des empilements de petits fours, là où nul œil n’aurait pu remarquer que les inoffensives pâtisseries se dotaient de la propriété la plus dangereuse qu’il soit. Tous, sans exception se parèrent du rose bonbon qui seyait si bien aux princesses et ce n’était là que le début…
Quelques minutes plus tard, des exclamations diverses couvrirent la musique. Une pile macarons roses venait d’exploser, envoyant les pâtisseries en l’air comme autant de confettis. Seulement voilà, ils ne retombèrent pas comme ils auraient du le faire, bien au contraire. Ils flottèrent comme autant de bulles de savons au gré de courant d’airs que nulle source ne venait alimenter. Certains jurèrent même leur voir pousser de petites ailes.

Les effets de l’ivresse ? La terrible réalité ? A en juger par leurs boissons qui rosissaient elles aussi, le doute était plus que permis…

Des visages connus qui apparaissaient, disparaissaient dans la foule. Un instant de répit, une trêve tacite, pour tous ceux que la guerre avait abîmés, abattus. Ellenwen se sentait éparpillée entre tous ceux qu'elle reconnaissait, tous les sourires qu'on lui adressait. Djenka, Akkan, Marek qui se tenaient à ses côtés, Laïaga qu'elle avait quitté et qu'elle n'arrivait pas à quitter totalement du regard, guettant les expressions de son visage, buvant la joie qui en transparaissait. Elle avait reconnu Shadow, un peu à l'écart, occupé à relever une danseuse et elle savait que, en cherchant, elle aurait pu reconnaître bien plus de monde, venus incognito. Mais pour le moment, les retrouvailles avec le gardien du feu et son apprenti lui suffisait. Dans les yeux de ce dernier, elle lisait autant de gêne que de plaisir, de timidité que de fierté. Mais au milieu de tout, elle lisait l'amour dans chaque regard qu'il échangeait avec la drow.

Et son plaisir de la revoir. Si jamais elle avait douté du rôle qu'elle avait pour lui, sa réaction, vive, spontanée et rare, l'aurait éclairé. Elle sentit ses pieds décoller du sol dans un éclat de rire ravi. Le monde tourna, rapidement, se brouilla devant ses yeux. Elle se sentit soudain légère comme une plume, comme si le poids qui avait pesé si lourd sur ses épaules, s'envolait avec elle, s'évacuait, renvoyée au loin par la force qui la faisait tourbillonner. C'était... rafraîchissant d'être ainsi traitée comme une enfant, comme une simple mortelle sans préoccupations. C'était un retour en arrière, brutal, un peu douloureux et étrange, mais délicieusement apaisant.

- Je suis heureuse de le revoir, Akkan. J'ai cru que nos chemins ne se recroiseraient jamais ! Et je n'ai même pas encore eu le temps de vous féliciter tous les deux !

Elle regarda Djenka, Akkan et sourit, secouant la tête.

- Qui l'aurait cru ! Enfin...

Puis, regardant le dragon d'Akkan, perché sur l'épaule de la drow, qui la regardait avec curiosité. Elle avait été surprise de son mouvement et restait toujours surprise de le voir là, si à l'aise aux côtés de son dragonnier. Elle accueillit avec gentillesse, mais nervosité, le lien qu'il créa. Elle ne parvenait toujours pas à abolir la distance qu'elle mettait avec les membres de sa race.

*Un petit ?*

La question la surprit et lui pinça le coeur. Ce fut un moment bref, suffoquant d'une tristesse sans nom. Les images, qu'elle était parvenue à garder à distance, lui revinrent avec une acuité accrue. Des pattes qui courraient sur son corps. Des lames qui fouillaient ses entrailles. De petit, elle ne pourrait jamais en avoir.

*Non, je ne crois pas que ni moi ni lui n'en ayons très envie. Et puis... encore faudrait-il avec du temps pour le concevoir ce petit !* ajouta-t-elle dans un éclat de rire. *Je ne suis pas Marek, moi, je ne peux pas encore m'offrir de congés dans le sol endroit encore épargné de l'Alagaësia.*

Elle prit une gorgée de sa boisson et nota dans un froncement de sourcil son étrange couleur rose. Quelqu'un s'était encore amusé avec la magie... Elle leva les yeux au ciel et sentit un sentiment de quasi désespoir l'envahir. Les gens n'apprendraient-ils donc jamais ? Modifier l'équilibre lorsque l'équilibre est instable revenait à donner un coup de pied dans un empilement soigneux de dominos. Les répercussions ne s'arrêteraient pas avant longtemps !

- De la bière rose... pas moyen...

Elle vida sa chope au sol avec dépit. Elle grimaça et ferma les yeux de dépit lorsqu'un macaron traversa l'air devant ses yeux, effleurant ses cheveux. Elle ne préférait même pas imaginer la puissance de la magie utilisée pour un tel résultat ! Et elle ne pouvait même pas utiliser sa propre magie pour arrêter les effets... Heureusement que les choses semblaient se calmer... La diffusion du rose semblait avoir été violente mais limitée à une petite zone périphérique, autour de la place... autour d'une personne dont les yeux tristes lui rappelaient quelqu'un de bien connu.

- Une revenante...

Le mot était sorti dans un souffle.

(pas terrible désolée mais écrire en classe d'eutonie ça vous donne envie de décrire toutes les étapes du sommeil qu'autre chose >.<)