Ellenwen regarda Akkan et Djenka s'éloigner dans la foule, vers l'origine de la perturbation magique. Elle sourit et secoua la tête. Elle ne tenait pas à être curieuse, elle savait mieux le poids d'un secret à conserver et ne tenait pas à s'en mêler. Quiconque était venu ici déguisé avait ses raisons et elle ne tenait pas à les connaitre. Abandonnée par ses compagnons, elle laissa son regard se porter sur la foule et grimaça à l'arrivée d'un large dragon. Si les premiers hommes ne l'avaient pas vu venir, alors c'est que le monde n'était pas loin de s'écrouler. La fête n'allait plus durer longtemps, songea-t-elle avec un violent regret qui la surprit. Elle s'était sentie dans une telle bulle hors du temps, hors de la guerre et du monde, que le retour à la réalité lui faisait l'effet d'une douche froide imprévue.

Elle était heureuse que le dragon ai pu venir, ai pu profiter quelques instants de l'ambiance qui régnait. A sentit le peu de bribes mentales qui lui parvenaient, il semblait en avoir besoin, plus qu'aucun autre ici. Elle sentait sa rage, sa douleur et sa tristesse venir butter contre les esprits qui l'entouraient, les entourant comme des fantômes irritants et fous. Le dragon semblait à la limite de l'explosion, parvenant à grand peine à garder le contrôle de ses émotions. Avec une grimace inquiète, l'elfe songea qu'il ne faudrait pas grand chose avant que ses émotions si fortes ne pénètrent les esprits des humains alentours, plus faibles et peu habitués aux contacts mentaux.

Elle regarda autour d'elle. Nul ne semblait s'inquiéter du dragon ou de la reconnaitre. Il semblait qu'elle était la seule à avoir saisi la rage qui le dévorait. Avec une angoisse qu'elle ne cachait qu'à grand peine, autant due à son malaise face aux dragons qu'à son inquiétude face à la situation, elle s'adressa au dragon.

*Vous ne devriez pas vous laisser vous gouverner par votre rage en un jour de trêve comme celui-ci.*

Ce fut d'abord une rumeur qui passa, comme le vent fait bruisser le feuille des arbres. C'était un murmure qui passait de bouche en bouche, de lèvres en lèvres et qui s'enflait jusqu'à devenir un cri. Les Premiers Hommes s'étaient réveillés. Ils avaient entendu les échos de la fête depuis leur sombre garnison, si éloignée de ce lieu sordide. Les quelques guetteurs qui s'étaient éparpillés dans la ville signalait que les lumières s'étaient rallumés et que le bruit des armes résonnaient dans la rue. Ils seraient bientôt là, traquant le moindre mage, cherchant le moindre espion dont la tête ornait leurs murs. Ils seraient là, bientôt, et la fête ne serait qu'un souvenir qui brillerait dans l'esprit de chacun comme un instant de répit au milieu du chaos.

Et l'Aléa, une nouvelle fois, serait.

Les Premiers Hommes. La rumeur avait atteint Ellenwen avait même que les mots ne volent de bouche en bouche. Elle l'avait senti dans les esprits, une frayeur croissante qui dominait les bribes de rires et de bonheur qui, jusque là, avaient dominé la soirée. Les sens à nouveau en alerte, la paranoïa de retour, elle engloba la foule d'un regard, cherchant des yeux tous ceux qui lui tenaient à coeur et qui risquaient, autant qu'elle, de ne plus revenir s'ils étaient capturés. Akkan s'était éloigné, loin de sa vue et, pendant un instant, elle sentit son coeur se serrer, à lui faire mal. Elle écarta sans ménagement quelques humains sur son passage jusqu'à ce que la voix mentale de son apprenti ne lui parvienne. Elle soupira de soulagement et passa la main sur ses yeux pour effacer les quelques larmes qui y avaient pointé.

*J'ai senti. Je vais m'en aller ! Tâchez de vous rejoindre, toi et Djenka, sinon, avec la panique, vous ne vous retrouverez pas.*

Elle se retourna à nouveau. Trop de gens semblaient encore inconscients du danger, tout à leur valse, leur discussions ou leurs sucreries. Non loin d'elle, un étrange couple semblait indifférent et continuait de parler, les yeux dans les yeux, isolé de tout ce qui les entourait. Elle voyait Djenka et Marek, auprès de l'étrange jeune femme au regard triste, qui semblaient à peine prendre conscience de ce qui allait advenir. Alors, dans un dernier instant d'altruisme, l'elfe ouvrit la bouche et sa voix claire, bien que hachée par la tension, s'éleva au dessus de la foule.

- Les Premiers Hommes ! Ils arrivent ! Ils sont bientôt là ! Fuyez !

Puis, sans plus attendre, elle se faufila dans la foule, mettant en application la recommandation qu'elle avait fait à son apprenti quelques instants auparavant. Elle jeta un dernier regard en arrière, dévisageant le dragon qui la surplombait et lui adressa une dernière parole d'adieu.

*Il est bon de profiter du repos lorsqu'on le peut. Notamment parce que ce sont des instants rares qu'il ne faut pas oublier. Le monde n'est pas un monde de guerre et les moments que nous vivons ne doivent pas nous faire oublier la vie qui s'écoule, en nous et au dehors. Il y a de nombreuses familles qui ne savent rien de la guerre que nous menons, qui se moquent de savoir qui est au pouvoir. Et nous ne devons pas oublier que si certains d'entre nous sont déchirés et ont perdu quelqu'un qui nous était cher, les familles des Premiers Hommes partagent également ce triste privilège. N'oublie pas la joie, car il ne faut pas la voir disparaître.*

Sur ces mots, elle se fondit dans la foule, tentant de lutter contre la marée humaine, prise de panique, qui l'entrainait au long. Comme un nageur qui se débat, elle tentait de parvenir à son compagnon, qu'elle distinguait, de loin en loin, lorsque la foule se séparait quelques secondes.

- Laïaga !

Elle eut l'impression, cette fois, que sa voix se dissipait dans les cris ambiants.